Homo Faber
7.2
Homo Faber

livre de Max Frisch (1957)

( Si l'on pouvait recommencer sa vie ! )

Parcourant le monde dans le cadre de ses activités au service de l’Unesco - assistance technique aux pays sous-développés- l’ingénieur suisse Walter Faber, est un homme pragmatique et cartésien, un Homo Faber, qui ne croit pas au destin et au hasard mais aux statistiques et à la technique. Ce récit est un journal de voyage turbulent plein de réminiscences. Faber y évoque trois femmes, ayant partagé quelques moments de sa vie: Hanna, son grand amour de jeunesse, Ivy, une mannequin New-. qu’il refuse d’épouser et Elisabeth sa propre fille qu’il n’a pas su reconnaître, l’enfant qu’Hanna lui a caché. Les successions d’aventures et de rencontres finissent par échapper à la maîtrise de l’ingénieur. Hasard ou fatalité ? En choisissant un horaire de décollage différent, Faber n’aurait pas vécu cet accident d’avion, entraînant un atterrissage forcé à Tamaulipas; il n’aurait pas rencontré son voisin de siège, Hebert, le frère d’un ancien ami, ni fait une escale aux Etats-Unis pour y retrouver Ivy et s'échapper ensuite en bateau. Il aurait très bien pu passer à côté de cette jolie joueuse de ping-pong, qui porte des blue-jeans. La rencontre entre Walter et sa fille n’avait peut-être qu’une chance sur des milliards de se produire et entraînera une fin tragique. Comme un écho aux mythes grecs (Oedipe inversé, vengeance des Erinyes), Frisch dépeint l’histoire de cet Homo Faber dans une époque où l’homme ne croit plus en la fatalité. Un homme de la civilisation moderne, ingénieur technique s'érigeant maître de la nature.


Tout premier livre de Max Frisch.
Lu en deux jours.
Adoré.


J’ai adoré le style d’écriture cru et dépouillé de Max Frisch. Cette langue sèche et précise, pleine d’humour, désincarnée comme s’il s’agissait d’un carnet de bord. Des phrases courtes, parfois sans verbe et de nombreux retours à la ligne; une construction syntaxique faisant écho à celle d’un programme algorithmique, qui révèle cette manie de l’ingénieur à tout analyser. Le récit à la première personne renvoie à une forme proche du journal intime qui nous rapproche du narrateur: on a l’impression d’entrer complètement dans la tête de Faber, qu’on ne manque aucun détail, aucune pensée.
Je me suis attachée très rapidement à ce personnage parfois asocial et cynique qui ne manque pas de dérision. J’ai été captivée par son récit, de nombreux passages m’ont fait rire, sourire et réfléchir. Walter Faber croit fermement à son identité de technicien, il s’est efforcé à parcourir le monde et épuisé à vouloir l’analyser le retranscrire en formule, cependant, il ne s’est jamais découvert lui-même. A la fin du roman, l’auteur réalise qu’il ne se connait pas et ne souhaite qu’une chose: pouvoir recommencer sa vie. Cet homo Faber qui tantôt se vantait d’avoir les deux pieds sur terre n’a peut être pas assez rêvé. Toute sa vie, Faber a été dans le contrôle, le calcul et l’analyse sans laisser de place aux sensations et sentiments, ne sachant jouir du moment présent. Il finit par rejeter toutes ses croyances passées ainsi que cet “american way of life” qui le dégoûte à présent. Ce long voyage tumultueux sera finalement l’objet d’une révélation identitaire. Il s’étonne enfin de sa volupté de contempler, de ressentir et d’être ici et maintenant. J’ai beaucoup aimé le personnage d’Hanna ( “l’artiste exaltée” selon Faber), son intelligence et sa sensibilité. Elle est l’antithèse du narrateur, et c’est à elle que Walter doit son surnom -Homo Faber. Elle dénonce cette manie de technicien de rendre la création productive car il ne la supporte pas comme partenaire, et surtout : l’impuissance du technicien à affronter la vie. Elle considère la technique comme un artifice qui s’oppose radicalement au vivant. Passionné par le progrès technique; l’ingénieur constate que le robot, dépourvu de rêves et pressentiments, discerne avec plus précision que l’homme; par ses calculs, il pourrait mieux déterminer l’avenir et ne se trompe pas. Tandis que Faber prévoit, calcule et analyse, Hanna pense, doute et vie.
Faber est mort, elle est vivante.
Le personnage d’Hanna permet d’explorer la relation entre les sexes (hommes/femmes).


Publié en 1957 et adapté au cinéma en 1991 par Volker Schlondorff puis en 2014 par Richard Dindo, ce bestseller est sans doute l’une des oeuvres les plus connues de l’auteur. On retrouve plusieurs thèmes clés chers à Max Frisch comme le conflit entre l’identité personnelle et sociale, l’impuissance de l'homme de la civilisation moderne, l’influence du hasard et du destin dans nos vies, l'errance géographique, la question de la technique, qui s’oppose à la nature et au mythe, la relation et l'incompréhension entre les sexes et la vie ratée.

Shloé
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le 19 nov. 2020

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