Hors-service ne mérite pas sa mauvaise note sur Sens-critique. C'est un roman très optimiste, drôle, émouvant, fluide, on se retrouve dans certaines situations, on est touché par certaines facettes des personnages, en somme il procure un moment de lecture très agréable.


Eva-Lena, 39 ans, vit dans le Norrland en Suède, elle est professeur de suédois et d'anglais dans un collège. Elle a trois enfants, Caroline et Patrik sont adolescents, Matilda a 6 ans. Dans sa jolie maison où tout est fait de pin, deux gros chats vagabondent, Lion et Panthère noire. Eva-Lena élève même des phasmes dans un bocal, voulez-vous tenir Kurt-Oskar ? Erik son mari est plutôt bel homme, dans ses costumes impeccablement repassés, par Eva-Lena, son épouse attentionnée. La vie est belle, même si parfois Eva-Lena se met à pleurer sans raison. C'est vrai aussi que parfois Caroline est injuste avec sa maman et la malmène, c'est vrai aussi que Patrik est désolant à s'enfermer dans la cave pour jouer à ses jeux vidéos jusqu'à tard dans la nuit, au milieu de saletés, à répondre par monosyllabes aux questions posées. C'est vrai aussi qu'à son âge Matilda est très capricieuse et réclame beaucoup de soins. Et Eva-Lena est souvent seule pour s'occuper de sa maison, ses enfants, en plus de ses cours qu'elle prépare minutieusement et systématiquement. Erik travaille dur, lui aussi... surtout ses relations sociales... Finalement, quand on prend le temps d'y songer, tout ne va pas si bien dans la vie d'Eva-Lena, le bonheur n'est pas facile à obtenir, même quand on a tout.
Enfermée par erreur pour tout un week-end dans le cagibi du collège, Eva-Lena a enfin le «loisir» de penser à elle, à sa vie, à ce qu'elle ressent. Pour quarante-huit heures, contre son grès, elle se retrouve «hors-service»...


Ce roman oscille entre les pensées intimes de l'héroïne, cloîtrée dans le local de la photocopieuse, qui nous livrent un portrait d'elle profond, secret, tendre, agaçant, touchant, souvent drôle, presque théâtral, et le récit à la troisième personne des événements survenus avant sa claustration. Solja Krapu fait avec beaucoup d'humour et de sensibilité le croquis colorié d'une délicieuse vue intérieure d'une femme indépendante, cultivée, moderne, une maman aimante et protectrice.


Hors-service est aussi un roman d'amitié entre deux femmes, Eva-Lena et Aurora. Celle-ci, qui s'est imposée à grand fracas dans la vie de notre héroïne, se révèle finalement son meilleur soutien. Elle est courageuse, loyale, modeste, artiste, excentrique, farfelue, elle est un rayon de soleil tout en gardant les pieds sur terre et la main sur le cœur.



« Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd'hui, et que tout est gâché, que tout est saccagé, et que l'air pourtant se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s’entre-tuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève? (...) Cela s'appelle l'Aurore. » ## ~ Giraudoux, Électre



Le tragi-comique :



La panique s'est emparée de moi. Tout à coup, la sueur s'est mise à perler sous mes cheveux, dans mon cou, dans la paume de mes mains. Était-ce vrai ? Tout cela était-il bien réel ? Le sol, et puis quatre murs, rien d'autre que des murs. Moi, enfermée. Définitivement. Impitoyablement cloîtrée. Des murs aveugles sans la moindre ouverture. Et si l'air venait à manquer ? Seigneur, seigneur, seigneur Dieu.
Si Aurora avait été à ma place, elle aurait fait un tel boucan que tout le quartier l'aurait entendue, et elle aurait cogné sur la porte. Sur la serrure. Elle aurait défoncé la porte à coups de poing, elle se serait jetée sur la porte, à travers la porte, aurait tenté de s'échapper par tous les moyens. Et si rien de cela n'avait marché, elle aurait toujours eu un plan B. Elle aurait de toute façon trouvé une solution.
Mais je ne suis pas comme ça.
J'ai fini par abandonner. J'avais les larmes aux yeux et mes bras pesaient tant que je ne pouvais plus les soulever. Je suis restée accroupie, le dos contre la porte. Si le sol n'avait pas été si sale, j'aurais tout simplement glissé pour m'asseoir par terre. (p. 67)



Dans le cagibi, Eva-Lena peut penser à ce qu'elle aime, à ce qu'est sa vie, elle peut réfléchir à comment être heureuse, elle s'inspire d'Aurora, elle se rappelle les bons moments, elle lutte pour garder espoir et pour tuer l'attente.



Qu'est-ce qui est important pour moi ?
Je fais une liste. (J'ai toujours aimé faire des listes.) Ce que j'aime le plus dans le fait d'être une enseignante. Ce que je n'aime pas. Deux colonnes.
Les choses que je n'aime pas viennent plus facilement. Le fait de ne pas être à la hauteur. Le manque de temps. Ne pas pouvoir continuer ce qu'on a commencé. Être perpétuellement sous le regard des autres. La contrainte. Le travail le soir. Ils oublient tout ce qu'on leur enseigne : on ne sait jamais ce qu'ils ont effectivement retenu. Toujours devoir recommencer avec de nouvelles sixièmes, ne pas pouvoir aller soi-même de l'avant. Et la violence. Un qui en pousse un autre. Le racket. Et toujours le fait de ne pas se sentir à la hauteur. Et le bruit. Rabâcher toujours la même chose à propos des stylos et des gommes. Le son de ma propre voix. Et le fait qu'être obligée de se mettre en colère fasse partie du travail. C'est peut-être le pire de tout. La liste est déjà longue.
Et ce que j'aime ?
Oui.
M'occuper de mes élèves. Les voir grandir. Chaque succès est une joie. Un visage rayonnant après un contrôle réussi. Un premier vrai livre, lu du début à la fin. Une rédaction écrite sincérement. Voir Evelina se lier d'amitié avec quelques filles de cinquième, Wille et Sebastian rapporter un feuter à Markus, Lissi finir enfin sa rédaction. Remarquer que Jonny Frediksson n'est peut-être pas entièrement perdu. Et s'il y avait un moyen de changer les choses ?
C'est une sorte d'amour. (p. 196)



Une liste de musique pour libérer ses émotions :
Set Me Free ~ Esther Phillips
Teatro ~ La Lupe
Little Hell ~ Ankathie Koi
Panique ~ Juniore
Mother ~Anchorsong


Crier, puis choisir son chemin et s'envoler.

smilla
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le 18 mai 2017

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smilla

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