Après avoir fini la lecture d'un roman de Dostoïevski, on s'étonne toujours de la qualité hors norme des œuvres de l'auteur russe. A tel point qu'il faudrait inventer une échelle de comparaison uniquement destinée aux créations de ce génie de la littérature. Ainsi si l'on prend le cas de Humiliés et offensés, il n'a certes pas la puissance continue proposée par Les Frères Karamazov voir Crimes et châtiments, mais il s'en rapproche lors de certains passages, notamment lors de l'échange (qui est plutôt un monologue d'ailleurs) entre le prince et Vania au restaurant au cours duquel le premier nommé justifie philosophiquement sa conduite insidieuse et abject.Sa rhétorique est percutante, presque convaincante et l'on apprécie ce discours malsain avec un arrière goût repoussant en bouche.
Le premier grand roman de Dostoïevski a des défauts, identifiés par l'auteur lui-même, revendiqués même, comme cette allure de roman feuilleton qui lui a été reprochée par ses contemporains. On pourrait ajouter que certains raccords d'intrigue semblaient peu nécessaires et viennent gâcher un tant soit peu un épilogue par ailleurs moins bien écrit et vous l'aurez compris un brin décevant.
Mais ces petits contre-temps ne viennent pas empêcher la symphonie de se délier devant nos yeux ravis et l'on apprécie toujours autant la maîtrise de Dostoïevski à créer des personnages dont le caractère séduit par la simplicité qui s'en dégage et qui les rapproche de nous malgré un aspect fictionnel totalement assumé.
Dans Humiliés et offensés, l'écrivain a su faire ressortir de la misère "pétersbourgeoise" des personnages semblant venir tout droit de la littérature de Dickens et dont on a du mal à se passer (Nathacha, Elena et même le narrateur Vania). Le conte du début (le vieil homme et son chien) cède la place au roman de pur style "dostoïevskien" mais son aura reste toujours présente comme le style policier le faisait dans Les frères Karamazov.
Le récit aurait pu être plus court, il est vrai, sans pour autant que l'on y perde au change, bien au contraire, mais Humiliés et offensés reste un condensé d'humanité émanant d'un univers crasseux et étouffant comme les petites pièces humides et malsaines où semblent cloîtrés les personnages.
La thématique du pardon est au cœur de l'intrigue et revient sans cesse, comme fil conducteur d'un récit où les personnages sont toujours plus ou moins en quête de réconciliation et de rédemption.
Pour tout cela, pour la variété des thèmes abordés (l'amour, le pardon donc, la pauvreté, l'orgueil...), pour les références autobiographiques du métier d'écrivain, pour ses personnages attachants, et malgré les quelques maladresses qu'il peut contenir ; ce premier roman fleuve de Fedor Dostoïevski est un indispensable de l'auteur, tout proche des sommets.