Premier roman de l'américain Tommy Orange, originaire d'Oakland, where we lay our scene, Ici n'est plus ici a fait grand bruit à la rentrée 2019, alors qu'il s'était déjà glissé outre-Atlantique parmi les finalistes du Pullitzer ET du National Book Award, s'il vous plait!
Alors, succès justifié? Oui, mille fois oui!
Tommy Orange, disciple de Sherman Alexie, dépasse le maître et nous livre un roman extrêmement maîtrisé dans son rythme, sa construction et la finesse de son analyse.
Ce sont pas moins de douze personnages dont les voix se juxtaposent, s'enchevêtrent au son des tambours.
Douze personnages qui ont pour seul point commun d'être indiens, les fameux native americans.
Mais qu'est-ce que ça fait en 2019 d'être le descendant d'un peuple massacré spolié, déplacé, spolié? Est-ce que ça suffit à construire une identité? D'ailleurs, cet héritage peut-il toujours, après des dizaines et des dizaines d'années, construire une identité?
Voilà les questions que pose Tommy Orange.
There there... le titre est emprunté à Gertrud Stein, qui, s'en retournant sur les lieux de son enfance au soir de sa vie, s'est désolée: "There is no there there".
Les endroits que l'on quitte, ceux auxquels ont repense "je suis d'ici, j'ai grandi ici, j'ai fait ça là", ne résistent pas à l'épreuve du temps. Un jour ici n'est plus qu'un souvenir sur lequel s'est construit une nouvelle réalité.
Ainsi les personnages de Tommy Orange ont en commun d'être sujets et témoins d'une culture et d'une histoire qui les dépassent la plupart du temps pour n'exister plus qu'au travers du récit collectif.
Tous ont ici leur propre vision de cette appartenance et aucun ne se satisfait de n'être défini que par celle-ci.
On est loin donc du manichéisme ambiant qui se borne à définir les personnes non par ce qu'elles sont intrinsèquement, mais par leur appartenant à telle ou telle communauté.
Le roman choral (car oui, ç'en est un) est toujours un exercice périlleux, souvent une facilité pour l'auteur destinée à éviter de creuser trop ses personnages.
Rien de cela ici, et rarement la forme n'aura autant servi le fond.
Dans Ici n'est plus ici, la voix de chaque personnage est figurée par une narration propre, un rythme, presque un chant particulier.
D'abord éparse, la narration, petit à petit, se raccourcit, s'accélère.
Les chapitres s'amenuisent, les voix se bousculent.
C'est les tambours qu'on entend, au loin et de plus en plus fort.
Les voix s'accrochent, se mêlent, légèrement dissonantes, les tambours martèlent un rythme toujours plus halluciné où percent les espoirs et les colères, où tout converge dans un grand pow wow infernal.
C'est magistral.