En 2013, Kate Greene, a vécu quatre mois sur MARS !!!...

Bon. C’est PRESQUE vrai …

Alors quoi ?

Kate Greene est une journaliste scientifique américaine (licence en chimie et master en physique) qui a été sélectionnée par la NASA, ainsi que cinq autres personnes, pour vivre pendant quatre mois une simulation d’isolement approchant les conditions de vie des futurs astronautes installés sur la planète Mars, au cas où…


Par où commencer ?


La mission HI-SEAS (Hawai’i Space Exploration Analog and Simulation) de la NASA est une mission "analogue" pour simuler la présence humaine sur Mars destinée à préparer de futures missions martiennes.

Mais, bien sûr, il ne s’agit pas d’un exercice d’entraînement en vue des missions à venir : les conditions de vol ne sont pas reproduites, ni les conditions de vie (gravitation, exposition aux rayonnements…), la durée (quatre mois) n’est absolument pas représentative, etc.

Pour plus de précisions on se reportera au livre de Sylvia Ekstrom « Nous ne vivrons pas sur Mars, ni ailleurs. »

https://www.senscritique.com/livre/nous_ne_vivrons_pas_sur_mars_ni_ailleurs/critique/238864608

Qui montre que l’orbite de transfert Terre-Mars atteint 620 millions de kilomètres, d’où un voyage d’environ 6 mois. Et pour obtenir la durée la plus courte il faut choisir la meilleure conjonction des deux planètes qui ne se produit que tous les 26 mois. Six mois dans un sens, six mois dans l’autre, combinés avec la fenêtre de 26 mois... Il faut tabler sur un minimum de trois ans (terrestres) pour une mission ! On est loin du compte.

À ce sujet, « Entre 1967 et 1968, des scientifiques soviétiques ont mené une expérience d’ingénierie médicale pendant une année entière : deux hommes ont vécu dans une capsule spatiale, tout juste assez grande pour contenir deux sièges et leurs corps. » Il parait que depuis, ils ne s’adressent plus la parole !

Alors, toujours tenté par une petite balade martienne ?


Et bien Kate, elle, à défaut d’être une authentique astronaute, son souhait le plus vif, sera une "presque-astronaute" comme ses cinq compagnons, sélectionnés parmi quelque 700 candidats…

Tout d’abord, notons que ce voyage-immobile date de 2013 et que son livre (ONCE UPON A TIME I LIVED ON MARS : Space, Exploration, and Life on Earth. St. Martin’s Press, July 2020) est sorti sept ans plus tard (traduit en français en 2024). Ce laps de temps a permis à l’auteure de prendre du recul et d’approfondir ses réflexions (et, sans doute, "d’écrêter" ses souvenirs !).


Et les "vacances" commencent : « Entre avril et août 2013, j’ai vécu coupée du reste du monde avec cinq autres faux astronautes, chacun de nous acceptant de faire diverses concessions martiennes, comme se laver essentiellement avec des lingettes, renoncer aux réseaux sociaux, ou encore ne pas voir l’ombre d’un légume ou d’un fruit frais. Nous habitions dans un grand dôme géodésique blanc, perché à plus de deux mille mètres d’altitude sur les pentes du Mauna Loa, un volcan hawaïen. Le panorama était très rouge. Très rocailleux. Très martien. L’accès à l’eau et à l’électricité était limité. Nous ne pouvions quitter notre sphère d’habitation qu’en portant des combinaisons similaires à celle des astronautes, particulièrement volumineuses et tout aussi encombrantes. »

Et ça cogite dur dans la p’tite tête de Kate… Une sorte de "Mais qu’est-ce qu’on fait là ?" : « Mais quelles sont les raisons qui nous poussent à concevoir des missions spatiales, des navettes et des vaisseaux pour nous rendre dans l’espace ? Pourquoi à ce point vouloir s’y rendre ? Qu’est-ce qui nous pousse à aller toujours plus haut, toujours plus loin ? Est-ce la compétition ? Avec qui ? La propagation de l’espèce humaine ? Est-ce que c’est le commerce ? La curiosité ? L’ennui ? La peur de la mort ? L’amour de la vie ? La solitude ? L’ambition ? L’égo ? » Va savoir Charles !

En tous cas, pour l’immédiat l’objectif de cette première mission "analogue" est d’étudier l’impact psychologique de l’alimentation et d’évaluer la possibilité de lutter contre la lassitude alimentaire en permettant aux membres de l’équipage d’être plus flexibles et d’avoir plus d’espace pour exprimer leur créativité dans la préparation des repas. Vous me direz : Et l’expérience de l’ISS ? La grande différence avec l’ISS c’est la gravité ! Sur Mars, la gravitation n’est que le tiers de la gravitation terrestre, mais si vous mettez de l’eau dans une casserole elle y reste ! Ce n’est pas le cas dans l’ISS ! Sur Mars, ON PEUT CUISINER ! Et la préparation des repas est particulièrement IMPORTANT, même à partir de produits déshydratés. Important par le plaisir psychologique apporté par la préparation. Important par la dégustation. Important par la variété. Important par le partage des repas pris en commun, moments propices à l’échange et à la fédération du groupe.

Préparer un repas c’est retrouver une saveur, se rattacher à un souvenir, une réalité, et parfois, rétablir un équilibre comme cet "astronaute" canadien atteint d’un terrible mal du pays et d’une irrésistible envie de poutine que ses coéquipiers ont réussi à lui confectionner à partir des ingrédients, en poudre, déshydratés.


Ah ! Une grande théorie de notre autrice : Les équipages y gagnent à n’être que féminins !

Pourquoi ? Parce que les hommes sont généralement plus lourds que les femmes et… qu’ils mangent plus !

Dans son petit coin martien, Kate a constaté que dans l’ensemble, il était rare qu’une femme de l’équipage absorbe plus de 2 000 calories en une journée tandis que les hommes dépassaient régulièrement les 3 000 calories. En fait, plus il y a de femmes à bord, moins il faudra emporter de nourriture : des économies sur la masse totale du vaisseau, sur le carburant consommé et sur l’argent dépensé. CQFD !

Mais les hommes ont un problème avec les femmes. C’est bien connu ! (N’y aurait-il pas une réciproque ? ...)

« Depuis 1961 et Youri Gagarine, 563 personnes [2019] ont voyagé dans l’espace. Parmi elles, 64 femmes. » Soit 11 % env.

Un équipage exclusivement féminin pour se rendre sur Mars… Choquant, non ?

Alors, pourquoi un équipage exclusivement masculin ne choque personne ? ? ? Et ne venez pas me dire que les femmes sont moins qualifiées… parce qu’alors je vous dirais de quitter votre XIXe siècle et de regagner le XXIe au plus vite !


Féminin, masculin ou mixte, l’équipage, en mission longue durée n’échappera pas à l’ennui.

L’isolement est particulièrement difficile à vivre au cours des missions longues car les êtres humains sont des organismes « adaptatifs » : nous sommes capables de changer en réponse à des changements dans notre environnement, et c’est en nous adaptant que nous nous épanouissons. À la longue, l’isolement efface la possibilité d’adaptation, la possibilité d’interagir avec l’environnement. Ainsi nait l’ennui.


Là, je crois qu’il est temps de parler de l’auteure (ou autrice, si vous préférez).

Tout d’abord, elle se qualifie de « queer », voire de "bien trop queer" pour satisfaire à certains entretiens. Il est vrai que si vous allez sur Google pour trouver un portrait du personnage, vous découvrirez un visage assez androgyne et troublant. Alors j’avoue que la première fois que, dans ses confidences, elle a parlé de « ma femme » (Gill), en vieux machin obsolète, j’ai sursauté et vérifié que la narratrice se prénommait bien "Kate", et était bien une femme !

Et puis voilà que je réalise qu’elle a un problème avec le genre : systématiquement, quand elle parle de tout le monde elle n’oublie pas de préciser « Nous toutes et tous … » et, je ne sais comment ça se passe en anglais, mais elle a dû donner des directives à la traductrice pour employer en permanence la forme inclusive : « … j’y décrivais surtout la façon dont mes coéquipier∙es étaient agacé∙es les un∙es par les autres… »

Aussi quand elle consacre tout un chapitre à la solitude, à l’isolement et au sentiment de ne pas être à sa place, je suis convaincu qu’elle se voit aux premières loges :

« Quand on ne se sent pas à sa place, on la cherche. Si l’on a de la chance, on trouvera un groupe ou une sous-culture qui nous correspond. Dans le cas contraire, l’isolement peut se transformer en colère. […] Nous sommes des milliards, mais il existe sur Terre tant de façons de se sentir isolé∙e. »


Et le groupe ? Me direz-vous.

Et bien, comme généralement, lorsque de petits groupes isolés interagissent avec d’autres groupes, des factions se forment. Une sorte de syndrome du « nous contre eux » opposant "l’équipe martienne" aux groupes de soutien ou celles du centre de contrôle « Et malgré des liens parfois étroits noués avec ces personnes, la sensation qu’elles « ne peuvent pas comprendre ce que nous vivons de notre côté » et « ne se rendent pas compte de ce qu’elles nous demandent » est très vite apparue. » Mais cette dynamique du "nous contre eux" est aussi une marque d’identité et de cohésion du groupe.


Séquence nostalgie…

Oui, je me souviens… je me souviens parfaitement de cette nuit du 20 au 21 juillet 1969. Ça faisait à peine plus d’un an que je travaillais à la SEP (Société Européenne de Propulsion) mais déjà vingt ans que j’étais passionné d’Espace ! Et cette nuit-là, nous avons ouvert le canapé-lit devant la Télé et pratiquement pas fermé l’œil de la nuit… À près de quatre heures du matin, Neil Armstrong est péniblement sorti du LEM, a lentement descendu l’échelle et a posé son pied sur le sol lunaire ! L’image était floue et figée et l’on ne distinguait pas grand-chose. Mais quelle émotion !

Aujourd’hui, entre Lune et Mars, on attend…

De nos jours, le sas de l’ISS ressemble à un tube en deux parties : la première contient combinaisons et équipement, et la seconde dispose d’une trappe permettant de sortir du vaisseau. « Les astronautes passent des heures dans cette pièce cylindrique, vêtu·es de leurs combinaisons spatiales, à respirer de l’oxygène pur pour éviter les accidents de décompression, à vérifier nombre de pièces d’équipement – des vannes, des joints, des interrupteurs et autres dispositifs. Les astronautes y discutent, et échangent aussi avec le centre de contrôle. On peut parfois y entendre des plaisanteries, et souvent des informations importantes. C’est un lieu où l’on attend beaucoup, où l’on attend longtemps. »

À l’issue de son "séjour sur Mars", Kate attend, dans le sas ! « Au moment où j’écris ces lignes, les êtres humains qui peuplent la Terre attendent. […] Les événements mondiaux semblent s’additionner pour mener à un changement de plus grande envergure. […] Les conditions météorologiques changent, notre planète n’est plus ce qu’elle était. […] Je me suis séparée de celle qui a été ma partenaire de vie pendant quatorze ans, nous serons bientôt divorcées, et je finis des études à New York pendant qu’elle et l’appartement que nous avons partagé durant une décennie entière sont à San Francisco. Je ne suis pas certaine de savoir où je vis. […] Je joue avec les interrupteurs et j’attends. Je sais qu’il faudra que je franchisse la trappe, bientôt, et que j’émerge dans une nouvelle façon d’être moi, vêtue d’une combinaison adaptée à la prochaine étape de ma vie. […] Voilà ce que l’on ressent, quand on attend. »


Philou33
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le 31 août 2024

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Philou33

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