Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi par madamedub
Immortelle randonnée, telle est l’appellation que Jean-Christophe Rufin a choisie pour évoquer le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, que l’Académicien a entrepris de faire seul, par le « camino del Norte », celui que l’on dit plus difficile, mais aussi plus authentique que le « camino frances ».
Pourquoi, a-t ‘on demandé à l’écrivain pèlerin, se lancer ainsi sur un parcours de 800 km, pour lequel il faut dévouer des semaines entières ? La réponse, comme souvent, ne tiens pas à la destination, mais au cheminement, et surtout à son appel, intransigeant comme un ordre intérieur. D’abord contrainte, effort de la volonté, négociation avec soi-même, le chemin devient peu à peu une exigence, une obsession à laquelle le pèlerin ne peut se dérober. Et d’ailleurs, qui est-il ce pèlerin du XXIème siècle, qui part avec ses chaussures de randonnées, son sac de montage imperméable et son duvet résistant à toutes les températures ? Doit-il faire la queue, comme cela s’est vu sur les pistes jadis sauvages de l’Everest, pour pouvoir avancer de quelques mètres dans la file des touristes de l’extrême ? Le terme de pèlerinage fait-il encore sens lorsque l’on doit longer les autoroutes de la Cantabrie ?
C’est ici que l’ « immortalité » de la marche prend alors tout son sens initiatique. Oui, pour qui « joue le jeu » du chemin le sens du pèlerinage se révèle. Très vite, le marcheur abandonne son allure de sportif des villes. Endurance des longues journées de marche, douleurs aux pieds que rien ne peut soulager hormis la sédentarité à laquelle le marcheur se refuse, manque d’hygiène chronique et mauvaise qualité du sommeil, autant d’éléments qui ont tôt fait de plonger le marcheur dans un état de pèlerin moyenâgeux.
Préférant sa tente solitaire aux dortoirs bruyants occupés par ses compagnons de route ronfleurs, Jean-Christophe Rufin observe la lente et irrémédiable dilution du pèlerin aussi bien dans la ville que le long du Chemin dans lequel il se fond comme une ombre mendiante. Sa condition le plonge dans une dimension parallèle, que ne peut arpenter que celui qui piétine ce chemin foulé par des siècles et des siècles de fidèles. D’abord honteux de tomber si vite dans une condition misérable (quelques jours y suffisent), le marcheur se laisse absorber par sa nouvelle non-identité, dont il accepte les oripeaux : les rencontres fugitives entre compagnons de chemin, la sacralisation de la credential , ce document sur lequel on appose les tampons de chaque étape parcourue et que l’on gardera comme une sainte relique, la fuite des grandes artères et des lieux majeurs des villes pour lesquels, voyageur ou touriste, on aurait patienté pour y accéder.
Pourquoi le Chemin ? Pourquoi ce renoncement, cette pause dans la vie sociale et dans nos occupations quotidiennes ? Il en va du chemin comme pour tous les grands dépassements de soi. J-C Rufin sous-titre son ouvrage « Compostelle malgré moi ». La réussite finale n’est que l’aboutissement, la véritable réalisation se fait non pas à Compostelle, mais dans le « malgré moi », et c’est ce « malgré moi » que le chemin, comme d’autres grands défis, nous permettent d’expérimenter.
Emma Breton