Malgré moi, ou plutôt grâce à mon ami Jérôme que j’interrogeais à propos du pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle, je me suis lancé dans l’immersive lecture de ce faux carnet de voyage écrit par l’académicien Jean-Christophe Ruffin. En effet, il ne s’agit pas à proprement parler d’un carnet de voyage puisque l’auteur n’a volontairement pas pris de notes durant sa traversée du Camino del Norte. Ces notes desserviraient l’essentiel rôle de tamis que joue la mémoire, et finalement, la réussite est là : du Pays Basque jusqu’à la Galice, en passant par la Cantabrie et les Asturies, on découvre El Camino à mesure que l’on parcourt les chapitres, qui sont autant d’invitation au voyage que de descriptions sèches des nombreux maux imposés par le chemin. Libérateur et asphyxiant, conflictuel et apaisant, tous les sentiments éprouvés lors de la traversée de ces longs kilomètres semblent s’imposer aux Jacquets, qui délaissent leur confort comme leur libre pensée, phagocytés par l’âpreté des chemins menant à la dépouille de Saint-Jacques depuis plus de dix siècles. Si Compostelle malgré moi détaille au besoin les différences entre les premiers pèlerinages et ceux d’aujourd’hui, il donne également envie au lecteur de rejoindre lui aussi ses chemins, ne serait-ce que pour retrouver le goût des plaisirs légers : une gorgée d’eau après des kilomètres parcourues la gourde vide, une nuit de sommeil dans une albergue, tamponner son credential dans une alcade, laver ses vêtements humides. Se retrouver en se dépouillant, telle est l’idée du chemin de Saint-Jacques. En empruntant le chemin du Nord, l’auteur s’est lui même mis en difficulté jusqu’à rendre songeur, voire moqueur, le responsable des Amis de Saint Jacques qui lui a remis son credential dans les bureaux de l’association dans le Ve arrondissement, et qui a peut-être découvert malgré lui son erreur en lisant Compostelle malgré moi.