Sammy Sapin nous offre là des poèmes attentifs aux gestes (médicaux, affectifs), des poèmes attentifs aux corps (âgés, médicalisés), aux paroles (de patient·es, de soignant·es) ; des poèmes politiques, écrits depuis un système de santé mis à plat par plusieurs décennies de coupes budgétaires déguisées en réformes.
En 2016, lorsque je suis arrivée sur le site de la revue realpoetik, je croyais encore qu’existait quelque chose comme la serendipité numérique – c’est-à-dire le hasard appliqué à la navigation d’un site à l’autre. Pour moi, découvrir les écritures de Murièle Modély et Sammy Sapin, c’était du « hasard », une forme de chance qui ne devait rien à la manière dont mon chemin de navigation était balisé en réalité ; regardons les choses en face.
Peut-on participer à un forum web d’écriture, publier de la poésie sur internet, avoir tenu en 2010 un skyblog de « fictions » et penser que la hasard tient une quelconque place dans ma rencontre avec realpoetik ? c’étaient là des jeunes poètes et des jeunes poétesses, lyonnaises, qui, comme moi, publiaient leurs poèmes sur le web et n’y trouvaient rien à redire, mieux, qui en étaient très contentes.
Ma découverte du site realpoetik a coïncidé avec le dernier numéro de la revue, 2016 donc. J’ai joué de malchance. Ce dernier numéro, le 18, où l’un des deux tôliers, Sammy Sapin, se rêvait, au plein milieu d’une syncope et d’un passage-piéton, discutant avec Louis Scutenaire.
2016, 2017, 2018, etc. : j’allais lire, relire, realpoetik, et je ne sais plus comment, tomber sur un recueil, dont le dépôt légal – n’est-ce-pas ironique –, en février 2020, dont la date de parution, en novembre 2020 – encadrent les premiers « grands confinements » – un recueil qui se présente comme le « récit non réaliste / en poèmes / d’une expérience réduite et partielle / de quelques années, / mes premières années d’infirmier » [p. 5].
Voilà : j’aimerais vous proposer un cheminement dans ce recueil.
D’OÙ ÉCRIRE : UN POÈTE-INFIRMIER
Les éditions du Clos Jouve, qui accueillent le recueil, sont lyonnaises : tout comme la revue realpoetik. Précision importante à l’heure où le parisianisme littéraire touche les petites structures, presque autant que les grandes.
Étant, à Litteralutte, particulièrement attentives·ifs aux conditions de production des livres et leur matérialité, j’évoquerai ce premier contact avec le texte ; la couverture. Aux éditions Le Clos Jouve, elles sont toutes conçues à partir de la même maquette ; sur fond blanc, trois inscriptions : le titre, l’auteur, la maison d’édition – rouge, gris, gris clair – même police, même taille. Ce qui apparaît d’abord comme une gradation est en réalité une mise à niveau des trois entités – c’est bien dire que loin du culte de l’auteur, la structure éditoriale participe pleinement à l’élaboration du texte là où, la plupart du temps, elle semble se fondre dans un discret logo, dans le coin inférieur de la couverture.
Passons au titre : j’essaie de tuer personne, et pas je maintiens tout le monde vivant ni l’hôpital soigne tous les gens ; affirmation négative à la première personne qui, déjà, montre l’angle sous lequel sera abordé le métier d’infirmier. Les erreurs structurelles seront, toujours, imputées à l’individu ; ici, le « je » infirmier, incarné et situé, est rendu responsable des défaillances de l’institution – il fait de son mieux pourtant.
Le livre compte 72 poèmes numérotés – ainsi qu’une entrée en matière, mi-prologue, mi-art poétique, qui mélange astucieusement, dans le pacte de lecture qu’il propose, secret médical3 et conventions de l’auto-fiction :
Les patients de ce livre ne sont pas de vrais patients.
Madame Pernigaud, par exemple, n’existe pas.
Mais elle aurait pu. Et je l’ai rencontrée.
p. 5
Mais ce qui intéresse, dans cette ouverture, c’est la scène d’énonciation proposée :
Ce qui va suivre
est le récit non réaliste
en poèmes
d’une expérience réduite et partielle
de quelques années,
mes premières années d’infirmier,
juste après le diplôme,
et de ce que j’ai vu et compris et imaginé
alors
dans les hôpitaux, services, unités
où j’ai travaillé.
p. 5
L’expérience est « partielle », elle dépend d’un « je » non pas locuteur lyrique universel, mais situé, qui voit / comprend / imagine (dans cet ordre-là) et qui, un peu à la manière des chercheur·euses en sciences sociales, tient à annoncer, dès le premier poème, d’où il parle : une expérience de jeune infirmier, soumise à un regard individuel et surtout, aux vertus de l’imagination – poétique.
La forme : récit, à l’heure où l’on repère un certain tournant éditorial, promouvant des textes en vers libres appelés « romans » ou « récits » ? oui. Peut-être, mais davantage poèmes à la Raymond Carver, où la simplicité de la langue verse quelquefois dans la métaphore, et le plus souvent dans la joueuse épiphanie.
Lire la suite de cette recension de Marie-Anaïs Guégan sur Littéralutte.