"Voir de ton joli cou / Comme un rubis, perler le sang..."

Une citation de "Love on the Beat" de Gainsbourg qui se prête bien à cet OVNI littéraire. Première lecture de Vian à 28 ans : il n'est jamais trop tard. Et comme beaucoup, je suppose, j'ai commencé par "J'irai cracher sur vos tombes", juste parce que le titre possède un pouvoir d'attraction quasi-surnaturel, à la fois cool et dérangeant. Cette nouvelle expérience m'a en tout cas permis de m'apercevoir de deux choses : Vian est un écrivain agréable, et surtout, je me faisais une fausse idée de lui et de son oeuvre. J'avais un a-priori du genre le gars hyper intello qui produisait des choses très complexes, entre philosophie et métaphysique. Remarquez, c'est pas avec un seul bouquin à mon actif que je vais pouvoir résumer tout son travail, mais pour celui-là, une chose est sûre, ça va directement à l'essentiel. C'est un roman plutôt court, rédigé de manière simple (mais pas simpliste), un peu dans un style à l'américaine, avec des phrases ramassées mais puissantes. Il y a une urgence latente qui ne vous quitte pas de la première à la dernière page, parce que le héros réussit à vous embarquer dans son esprit dégénéré, à vous communiquer ses pulsions maladives, à faire de vous le complice de l'inquiétante mission qu'il s'est fixé. Anderson est un type à la fois antipathique et charmeur, tout aussi "cool et dérangeant", en fait, que le titre du livre. Vous l'aurez compris, Vian a choisi comme personnage principal, avouons-le carrément, un fêlé du genre psychopathe qui ne pense qu'avec sa queue (très bien trouvé, le tout dernier chapitre). Il est assez amusant de constater que résumer l'histoire du roman pourrait se faire aussi aisément que ça : Anderson veut vraiment "tous les niquer" (au sens propre, et au figuré).
Bref, "J'irai cracher sur vos tombes", ce n'est pas seulement un titre provoc' : pour l'époque, tout y est provoc'. C'est cru, malsain, sauvagement érotique et d'une grande violence. Chaque chapitre contient son lot de filles faciles, de pratiques sexuelles décomplexées. Notre génération a été plus qu'habituée à tout cela avec la télévision, le cinéma et l'"American Psycho" de Ellis, donc ça passe à l'aise. Mais en 1946, j'imagine à peine le choc. Le héros est une brute, l'obsession incarnée, et il imprègne tout le bouquin de sa bestialité. Pendant que je lisais, j'avais l'impression de tenir dans mes mains des boyaux (peut-être les miens), des tripes, de la chair et des os, un gros steak saignant tout juste découpé, luisant, tendre et humide, sans trop savoir si je devais y mordre à pleines dents où le jeter avec dégoût. Il y en aura toujours pour penser que c'est trop facile, racoleur, de prendre un lecteur au piège avec du sang et du cul, mais ici, point de Loana et Jean-Edouard dans la piscine, point de pervers du PAF type Delarue : ça a un sens, une explication, et quoi qu'on en dise, c'était risqué. L'auteur nous met face à notre condition d'être humain, à notre part animale qui peut à tout moment accoucher d'un monstre. Il parait qu'il existe une adaptation ciné ; je n'ai pas hâte de la voir parce que c'est le même problème que pour "American Psycho" : impossible à retranscrire pour le grand public.

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le 11 sept. 2011

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Psychedeclic

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