Contrairement à mes habitudes, je vais écrire ma critique « à chaud » alors que je viens de terminer la lecture de l'oeuvre. Est-il besoin de s'attarder sur le synopsis ? Le nom de Jane Eyre ne peut pas être totalement étranger à un lecteur et le couple Jane Eyre/Edward Rochester est très à son aise dans le Panthéon des couples littéraires légendaires. Passons donc directement à mon « analyse », si tant est que c'en soit une.
Pendant les deux premiers tiers de l'oeuvre, j'ai eu constamment envie de me mettre des baffes ! Quoi, j'étais passée aussi longtemps à côté de ce magnifique roman ?! Moi, adepte de la période victorienne, j'aurais snobé l'un de ses Évangiles ?! Le style autant que le récit est superbe. Suivre l'évolution de Jane, de cet Oliver Twist ou de ce John Huffman en jupon, a fait mes délices. Charlotte Brontë offre au lecteur un véritable roman d'aventures avec des rebondissements qui quoiqu’étant nombreux n'en demeurent pas moins crédibles. J'ai souvent lu des commentaires de lecteurs se plaisant à faire un parallèle entre l'oeuvre d'Austen et celle de CB, or, pour moi, le genre est très différent, il n'y a ni parallèle ni comparatif à établir concernant leurs écrits proprement dits. Les trames d'Austen sont essentiellement cristallisées autour des mondanités de salon où la Conversation tient le haut du pavé. Ici, j'ai davantage été aimantée par l'Action qui, de par ses mouvements incessants, m'a littéralement transportée dans l'oeuvre. Comme j'ai frémi de froid à la lecture des chapitres consacrés à Lowood ! Comme j'ai tremblé de peur en lisant les scènes de l'incendie et de la mystérieuse visiteuse nocturne de Thornfield Hall ! Impossible de lâcher le bouquin, l'heure du repas pouvait bien être arrivée, mon mari pouvait bien me demander quelque chose, peu m'importait alors ! Achevé le chapitre 27, le dernier de la seconde partie du récit (qui s'articule en 3 parties : 1 à 9, enfance ; 10 à 27, dépendance ; 28 à 38, indépendance), j'avoue que je me serais bien arrêtée là, je n'avais pas vraiment envie d'en savoir plus, cette fin avant la fin m'aurait parfaitement convenue, romantique à souhait, mais l'auteur n'en avait pas encore fini, ni avec son lecteur, ni avec son héroïne...
Pendant le dernier tiers, le récit semble s'être calmé, comme après une grande tempête, laissant sur une plage, naufragés, Jane et le lecteur. Je n'avais plus du tout envie de me mettre des baffes ! Je me disais que c'était très heureux de ne pas avoir lu Jane Eyre plus tôt car, ainsi, les dernières réminiscences que j'avais de l'adaptation cinématographique de Franco Zeffirelli étaient reléguées assez loin dans les contrées de ma mémoire pour ne pas gâcher mon plaisir à en découvrir le dénouement....
#Spoiler Alert#
Ce dénouement, quel est-il ? Le plus noble qui soit : le coeur l'emporte sur la beauté.
#Spoiler Alert#
La puissante du récit est renforcée selon moi par le paradoxe qu'il y a entre le physique de Jane et sa fermeté d'âme. Cette fillette maigre et frêle, sans beauté, pâle jusqu'à paraître souffreteuse, recèle dans son coeur et dans son âme une fidélité à ses principes à toute épreuve. Sa perception juste du Bien et du Mal, étayée d'un besoin viscéral de rester indépendante bien qu'étant assujettie à une fonction d'employée, est le plus bel éloge que CB peut offrir à la Femme, dans son universalité. Laissant de côté la Beauté, l'apanage séculaire des femmes, quasiment reconnue comme leur seule arme face à l'Homme, l'auteur décide de doter sa jeune héroïne d'une force de caractère qui va jusqu'à la rébellion. Les mots vibrants de passion de Jane, page 421 de l'édition Folio, « Je suis un être humain libre, ayant une volonté indépendante » ont résonné dans mon coeur de femme du XXIème siècle avec une solennité remarquable. Plus qu'une déclaration, c'est un appel lancé par Jane/CB à l'émancipation de son sexe à travers sa personne, fragile aux yeux de la société mais intérieurement aussi puissante qu'un bulldozer.
Mon coup de coeur au fil de ma lecture a été pour le nom de « Maître » que Jane donne très vite à Mr Rochester. Bien sûr, il est le maître de Thornfield dans le sens propriétaire terrien et c'est donc avec une exacte légitimité que Jane peut et doit l'appeler ainsi mais au fil du récit, l’ambiguïté qui se crée naturellement quand la nature des leurs liens évolue vers cet amour violent et passionné, a renforcé la perception que je pouvais avoir de cet amour et j'ai vraiment été moi aussi possédée par le Maître de Jane.