Chronologiquement parlant, Janua Vera pourrait être considéré comme une "préparation" à un récit plus colossal et ambitieux qu'est sa "suite", Gagner la Guerre,de la même plume. Pour ma part, je n'ai entendu parler de ce recueil de nouvelles qu'ultérieurement, alors que mon appréciation de l'autre roman célèbre de Jean-Philippe Jaworski a été somme toute relative. Celui-ci, en revanche, est un indubitable coup de cœur, maîtrisé du début à la fin, avec une écriture à la fois bonne et belle.
Aucun mot n'est capable de décrire la virtuosité de l'écrivain. En effet, sa plume est bien le dernier reproche qu'on puisse lui adresser. La langue française est rendue à l'honneur dans un enchevêtrement cohérent de récits, dans un univers imaginaire des plus fascinants. Entre un vocabulaire riche, des tournures de phrase extrêmement élégantes, c'est un véritable plaisir pour les yeux de lire des phrases aussi jolies et aussi littéraires. Quand je pense que certains prétendent que la Fantasy ne serait pas de la véritable littérature... J'ai envie de le répondre, que nenni ! Le style ne tombe jamais dans l'excès et s'adapte au narrateur : que ce soit raconté au présent, au passé, à la première ou à la troisième personne, les nouvelles traitent d'êtres humains fascinants, quidams d'une terre aussi âpre que fascinante.
Si toutes les nouvelles ne se valent pas, elles peuvent au moins se targuer d'être de qualité. Ainsi, ma préférence oscille entre Le service des dames, dont le twist final est finement amené en plus d'être intéressant, et Le conte de Suzelle, où les étapes d'une vie difficile sont décrites avec un parfait mélange de mélancolie et de froideur. À contrario, la deuxième nouvelle, Mauvaise donne, est la moins extraordinaire de toutes à mes yeux, et c'est d'autant plus dommage que son narrateur est le même que celui de Gagner la Guerre.
Peu importe les nouvelles, elles s'unifient grâce à leurs particularités. L'univers fictif est ici exploité pleinement : nous naviguons de lieux en lieux, de personnages en personnages et d'ambiance en ambiance. La richesse du genre de la Fantasy est déployée à fond et nous laisse le temps de profiter d'un recueil envoûtant par bien des aspects. Parfois drôle, souvent tragique, les protagonistes développés dans ces pages ne sont ni des héros, ni des légendes, juste des pauvres humains accablés par le temps, victimes du sort. De temps à autre, ils usent de leur faiblesse et de leur malchance à leur avantage, mais sinon, elle n'engendre que malheur et souffrance. Pourtant, au-delà de ce pessimisme accentué, l'âme humaine est décrite dans toute sa complexité et suscite au lecteur une kyrielle d'émotions, mais jamais l'indifférence.
Janua Vera est la preuve vivante que la Fantasy française et les nouvelles peuvent aboutir à un excellent résultat. Selon moi, il s'agit du summum du talent de son auteur.