A l'heure où la fantasy est devenue un bien de consommation produit en série, où les cycles interminables aussi différents les uns des autres que des épisodes des Feux de l'amour pullulent et où les Tolkien et Le Guin des premières heures ont cédé la place aux Pratchett, Gemmel et consors, un auteur parvient encore à noircir 500 pages d'histoires médiévales, héroïques et plus ou moins fantastiques réellement appréciables. Miracle ?
Peut-être pas car Jean-Philippe JAWORSKI n'est pas tout à fait un auteur de fantasy lambda.
Premièrement il est Français. Au delà du cocorico et de la remarque inévitable concernant le trop faible nombre d'auteurs français valables dans le paysage contemporain des littératures de l'imaginaire, cet état de fait à l'énorme avantage d'épargner à l'ouvrage la lamentable traduction qui fait en général passer le style de plat à l'extra-plat et la grammaire de banale à fautive ! Au contraire, JPJ soigne le vocabulaire comme le style et nous offre un texte qui sait se mettre au diapason d'un souffle d'héroïsme, d'un air de mystère, ou encore d'une farce comique.
Deuxièmement, il a longtemps pratiqué le jeu de rôle, papier et grandeur nature semble-t-il, et même produit deux jeux amateurs. Et alors que cette seconde "qualité" pourrait faire craindre un ouvrage plein de geekitude, de stéréotypes éculés et de pseudo-aventures sans lien entre elles, JPJ puise dans cette expérience ce qu'elle peut apporter de meilleur et l'insuffle dans ses nouvelles. A savoir un véritable sens du "héros" (ce qui fait que l'on a vraiment envie de savoir ce qui va arriver à tel ou tel personnage), de la narration et du suspens. En fait, certaines nouvelles (mais pas toutes heureusement) m'ont vraiment laissé entrevoir l'excellent scenario solo qui avait pu les inspirer. et que j'aurais volontiers joué il y a une dizaine d'année ! (Une offrande très précieuse...)
Enfin, c'est un auteur inventif mais qui sait s'inspirer des meilleures sources. Inventif au sens où il choisit de manière originale le format de la nouvelle pour faire exister son univers, ce Vieux Royaume esquissé à petites touches au fil de la narration de tranches de vie de ceux qui l'arpentent. Mais sachant également puiser dans les canons du genre (Tolkien...) ou les classiques (Chrétien de Troye...) pour construire les fondations d'un univers solide et bien raconté.
Au final, Janua Vera est un recueil de 8 nouvelles sans grands rapports entre elles (ni sur le fond, ni sur la forme) à l'exception de leur toile de fond, ce vieux Royaume en déliquescence, qui offre un vrai plaisir de lecture de sa première à sa dernière page. Certaines histoires plaisent inévitablement mais ne marquent pas (Mauvaise donne et Jour de guigne), d'autres sonnent avec la justesse d'une délicate poésie ou d'une chanson de geste moderne (Le service des dames et le mélancolique Conte de Suzelle). Deux enfin m'ont tout bonnement transporté et méritent à mon sens la lecture du recueil à elles seules. Un amour dévorant est un conte fantastique troublant par sa force d'évocation qui m'a un instant donné l'impression de lire Borges. La meilleure nouvelle du recueil. Mais qui devance de peu Le Confident qui achève ce voyage au coeur du vieux Royaume dans un effrayante obscurité.