Un peu comme quand vous entendez pour la première fois quelqu’un parler et que vous remarquez qu’il a un tic verbal ou un défaut de prononciation : bientôt vous ne remarquez plus que cela ; ce qui aurait pu être charmant devient une scie. J’ai ressenti cette impression dès la nouvelle qui donne son titre au recueil, d’autant qu’on m’avait présenté l’auteur comme un très bon styliste. (À la réflexion, lire Janua vera donne au moins l’impression de ne pas lire une mauvaise traduction de l’anglais. C’est déjà ça, et il paraît que ce n’est pas si courant dans l’heroic fantasy.)
Dans « Janua vera », donc, Jean-Philippe Jaworski met des structures ternaires partout. Dès le premier paragraphe (p. 14 en « Folio SF »), on a « Derrière les portes aux bas-reliefs d’ivoire, dans le dédale des corridors, des escaliers, des salles de cérémonie, il entend des appels brefs, des cavalcades lourdes, le cliquetis des armes. » (En vérité, on trouve aussi pas mal de structures binaires.) Deuxième constat, les sonorités dissonent parfois : je trouve laides l’allitération en [f] ou la rime en [èr] d’« Il fend la foule rutilante des dignitaires, des courtisans, des chiens de guerre » (p. 15), par exemple. Pour le reste, ce premier récit m’a paru une réécriture boudinée du « Roi au masque d’or » de Marcel Schwob.
Par la suite, le recueil m’a semblé desservi d’une part – toujours – par ce manque total de soin prêté aux sonorités, c’est-à-dire à la poésie ; de l’autre, par d’incroyables longueurs. La quatrième de couverture prête à Jean-Philippe Jaworski « le sens de l’aventure d’un Alexandre Dumas », il en partage aussi le goût de tirer à la ligne pour dilater à l’extrême des récits finalement simples. « Mauvaise donne », par exemple, étire sur cent trente pages une aventure qui pourrait tenir en cinquante (1). Bien sûr, c’est probablement le côté maître du jeu de l’auteur qui resurgit : le plaisir de raconter. Bien sûr aussi, c’est le prix à payer pour créer des mondes crédibles – dans le cas du texte en question, un univers d’intrigues de palais à la Borgia plutôt réussi – ; mais ce n’est pas ce que je recherche dans une nouvelle.
Incontestablement l’auteur a beaucoup lu, et pas seulement de l’heroic fantasy. Il sait aussi construire des phrases syntaxiquement intéressantes en utilisant un vocabulaire riche et précis, mais le recueil donne l’impression – peut-être renforcée par (voire uniquement due à) l’admiration de ses aficionados – qu’il pète plus haut que son cul. Ce que je veux dire, c’est que des histoires de monarques écrasés par leur pouvoir, de mercenaires en quête d’eux-mêmes, de cruautés politiques et d’arroseurs arrosés, il en existe à la pelle. Que celui qui raconte de telles histoires porte sur elles un regard véritable, c’est déjà moins fréquent, et Janua vera n’en fait pas partie. J’ai déjà écrit à propos d’un autre roman que je ne veux plus jamais lire la phrase « Il fallait vivre » (ici p. 246) dans une œuvre littéraire.
Bon, le recueil n’est pas un ratage complet, hein. Il y a de bons passages, et « Un amour dévorant » est un chouette récit.
(1) En fait, un Borges arriverait à faire tenir le tout en dix – mais on n’est plus dans la même catégorie.