Après le très (trop ?) dérangeant Débâcle, la romancière flamande fait son retour avec Je ne suis pas là, tout aussi inconfortable mais encore plus maîtrisé et nettement moins complaisant dans le scabreux, ce que l'on pouvait reprocher à certains passages de son premier livre. Il s'agit ici de l'histoire d'un couple, où la narratrice est confrontée à la maladie mentale de son amoureux, une bipolarité aigüe qui se manifeste par un cerveau en surchauffe et des bouffées paranoïaques épuisantes. Cela fait penser à l'excellent et poignant film de Joachim Lafosse (tiens, encore un Belge), Les Intranquilles, mais dans une version bien plus frénétique et minutieuse. Le livre se situe à la marge du thriller, avec un compte à rebours qui revient à intervalles régulier, jusqu'au dénouement fatal (ou pas). En attendant que sonne le glas, le roman remonte le temps et la manière dont la maladie a grignoté la tête de l'un et rendu la vie infernale à l'autre. Comme c'est cette dernière qui raconte, elle n'omet aucun détail, atteinte elle aussi par une sorte de dérèglement de sa raison, s'interrogeant sans cesse sur le bien fondé de ses propres actes, visant à protéger celui qui partage sa vie, quitte parfois à se mettre elle même en danger. La violence psychologique ne quitte guère les pages de Je ne suis pas là mais Lize Spit nous rappelle sans cesse qu'il s'agit aussi d'une histoire d'amour, éperdue et tragique. Il est également fréquent, mais moins dans les dernières pages, que la romancière use d'un humour noir dévastateur et irrévérencieux, qui desserre pour quelques instants l'étreinte, montrant au passage qu'elle n'a peur de rien et surtout pas de choquer. On peut voir aussi dans Je ne suis pas là un roman formidable de la ville de Bruxelles, avec une topographie précise qui ravira tous les habitants et les amoureux de la capitale belge. Ce livre est comme un long fleuve intranquille, à la séduction abrasive et décapante, qui exprime un talent sidérant d'écrivaine dont on se languit déjà de lire les prochaines folies.