Un cheminement langagier et poétique auquel nous invite Julia Lepère au travers d’un recueil sensible et ses paysages, menant à une métamorphose charnelle, intime, où chaque poème devient cérémonie.
Me préfixe de cérémonie vient du latin caero, apparenté à cerus [dieu] ou à creo [créer], Je ressemble à une cérémonie de Julia Lepère induit donc, dès son ouverture, un imaginaire de la création, de la métamorphose. Ici, le « je » poétique ressemble non pas à quelque chose mais à un processus, un creuset que les diverses parties du recueil vont enrichir, évoquant tour à tour foyer, adolescence, vieillesse, amour, ruine, renouveau.
LA LISIÈRE
Tout commence « À la lisière », titre de la première partie, celle d’une forêt ou d’une maison, lisière comme une peau autour de laquelle des yeux passent (ceux d’un « tu » et d’un « je »), sans être encore capables d’en percer la surface. Cette lisière pourrait tout aussi bien être celle du livre, une invitation au lecteur, placé dans la position du voyeur, du guetteur qui découvrira plus tard la métamorphose. Ici, tout comble l’horizon du regard, le ciel, son reflet dans la mer, le grillage d’une forêt et les ombres denses de son feuillage.
Le ciel limite nous disais-tu à l’envers
Cette limitation n’est pas seulement oculaire, elle est interprétative ; si les images aperçues font du « bruit », elles ne possèdent pas encore, en elles-mêmes, de sens :
Tu disais nos têtes font des bruits que personne n’entend
Dans la tête, comme sur l’eau, les signes exprimés restent hors de portée de la conscience, qui n’en capte qu’un résidu. Mais le recueil ouvre peu à peu des brèches dans cette trame opaque, des ouvertures, à commencer par l’imaginaire d’une maison – intérieur visible par ses fenêtres.
Je voudrais m’enfuir d’un endroit, il y
a longtemps, je reviens :
la porte est sortie de ses gonds, sans doute
Une effraction
Maison-conscience, ou ancien foyer, cet espace matérialise une certaine période que le « je » a voulu fuir et qu’il lui faut maintenant retrouver. Lieu fracturé (traumatique ?), dans lequel d’autres sont entrés par effraction, le premier réflexe du personnage est de conserver ce qui reste à l’intérieur, de cloisonner le lieu, comme on se tairait.
Rester silencieuse, garder le seuil, et que
de la maison
Rien ne s’échappe
– pas même un rayon vert
Cette maison pourrait tout aussi bien être le reflet de la poésie ou des tendances littéraires passées, une sorte d’aspiration à la conservation (au conservatisme ?) ; les murs redoublent l’imperméabilité évoquée plus haut ; ils sont des seuils sur lesquels le regard du lecteur se cogne sans pouvoir y entrer. Toutefois, le « je » est bientôt contraint d’y laisser surgir une brèche.
Tu rentres en moi
comme dans une maison
Se déploie dès lors un imaginaire du grillage qui, par la langue singulière de Julia Lepère, trace et figure un espace langagier, révélant, ouvrant, ce qui jusqu’ici était resté caché.
Les lignes de la mains barrées comme un grillage
Entre les parois de ton corps il se fait comme des creux / où je peux/
respirer quelque chose qui fut toi…
La cérémonie et son charme peuvent dès lors se déployer. Après l’effraction, celle du lecteur, de la lectrice, qui a creusé une lézarde, une entaille dans la chair du poème, le « je » poétique amorce sa métamorphose.
la fissure a grandi jusqu’à devenir un château dans la montagne
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