Jean de Florette, premier volet d’un drame en 2 parties, est un portrait sans concession du monde rural provençal. Marcel Pagnol nous immerge dans un petit village près d’Aubagne, où les habitants se plaisent à vivre reclus, et hermétiques au monde extérieur. Le village est animé par les rivalités (notamment avec le village voisin de Crespin, les rancœurs, et les préjugés), les habitants se refusent au progrès, et sont fidèles à leurs traditions et leurs terres. C’est alors qu’arrive de la ville, un bossu, qui plus est, se trouve être le fils de Florette, une ancienne habitante des Bastides, partie pour se marier avec un habitant de Crespin. L’univers clos et conservateur des villageois s’en trouve donc ébranlé. Le bossu, du nom de Jean Cadoret, est un homme de savoir, visionnaire et ancré dans le modernisme, a d’ambitieux projets, après avoir hérité d’un domaine, également convoité par César Soubeyran, homme fier, surnommé « Le Papet », un des derniers représentants de sa famille (une des plus riches du village), et son neveu Ugolin dit « Galinette », jeune homme simple d’esprit, qui désirait ardemment le domaine pour sa source, afin de faire des plantations d’œillets. Ce conflit d’intérêt va confronter la gentillesse, et la naïveté de Jean Cadoret, à la cupidité du Papet, qui sera prêt aux pires atrocités, au profit de sa famille, quitte à manipuler son neveu, véritable instrument de son plan pour faire partir le Bossu et racheter les terres.
Ce roman est une véritable réussite, dans l’écriture. Celle-ci est limpide, simple, et en même temps très immersive. Nous sommes plongés dans le terroir provençal, on entendrait presque l’accent chantant des personnages dans les dialogues, on ressent le soleil, les parfums divers, la beauté d’une nature qui peut se montrer cruelle, à l’instar des hommes. Marcel Pagnol nous conte une tragédie humaine, et fait ressortir ce qu’il y a de pire en chacun de nous, où la jalousie fait foi, et où l’on est prêt à tout pour posséder le bien d’autrui, quitte à aller au meurtre (direct ou indirect).
On s’attache très facilement aux personnages, on souffre, on compatit avec ce pauvre Monsieur Jean, et sa famille (sa femme et sa fille Manon, personnage clé de la saga, élément essentiel au dénouement de l’intrigue dans le second tome, Manon des Sources), isolés du reste du village. Personne ne vient leur prêter main forte, le silence est roi, même lorsque l’on est au courant du destin tragique qui va suivre (les habitants savent que le Papet et Ugolin ont délibérément bouché la source du domaine, mais on se tait, car au village, on ne se mêle pas des histoires des autres), et tout le monde va se rendre complice de la fin malheureuse du Bossu. On s’attache aussi malgré tout à Ugolin, qui malgré son côté intéressé lorsqu’il vient en aide à Monsieur Jean, va finalement se prendre d’amitié pour lui, contrairement au Papet, qui n’a aucune interaction avec le Bossu, et donc aucun remords, et va jusqu’à faire culpabiliser son neveu, qui est autant victime dans cette histoire (le remord et la culpabilité seront des thématiques importantes dans le second volet du diptyque).
Ce roman est une perpétuelle confrontation entre deux univers totalement différents qui ne se comprennent pas : la tradition rurale vient heurter la modernité citadine. De plus, l’utopisme de Jean, persuadé qu’il suffit d’avoir lu des livres pour devenir un homme rural à part entière, va précipiter sa chute, et alimenter le dédain des habitants des Bastides à son égard, persuadés que ce dernier se croit supérieur, avec sa science, et son savoir.
En guise de conclusion, Marcel Pagnol use avec brio d’une large palette de sentiments : de la compassion, de l’injustice, mais aussi de l’humour, ce drame est à mes yeux l’œuvre la plus réussie de l’écrivain.
A noter que le roman Jean de Florette fut publié 11 ans après la réalisation du film Manon des Sources. L’histoire fut mise en roman après ce film, et est une sorte de préquelle, centrée sur le personnage du père de Manon. Il est également indispensable de regarder le film réalisé en 1986, par Claude Berri, avec un Gérard Depardieu tout en émotion dans le rôle du Bossu, Daniel Auteuil, campant un Ugolin tendre et attachant, et Yves Montand, retranscrivant à la perfection la personnalité froide et cruelle du Papet. La musique également mythique a contribué au succès du film.