Mourlevat est un auteur que je suis depuis longtemps. Plusieurs de ses livres ont bercé mon enfance grâce à leur poésie, leur tendresse et leur humour ; et ont contribué à mon goût pour la lecture. Plus récemment, j’ai passé un bon moment avec Terrienne, qui était intéressant malgré ses maladresses, et j’avais dévoré Le Combat d’Hiver qui, bien que je lui trouve aussi des défauts, m’avait marqué et saisi par la force de son atmosphère étrange et surtout son message. Et les messages, Mourlevat y tient. La plupart de ses histoires véhiculent toujours un message fort, avec plus ou moins de subtilité.
Dans le cas de Jefferson, la subtilité, on peut s’asseoir dessus. On se rend vite compte que l’histoire, très basique, n’est qu’un prétexte pour parler de la barbarie des abattoirs et questionner le lecteur sur l’exploitation animale, l’élevage intensif et le choix du végétalisme.
Bon. Pourquoi pas. Mais plusieurs choses m’ont dérangées. D’abord, l’univers mis en place n’est pas clair. Nous avons, en gros, un monde parallèle où l’on rajoute un pays peuplé d’animaux anthropomorphiques, traités comme inférieurs par les humains, mais supérieurs aux animaux normaux. C’est déjà ambigu, mais soit. Sauf que l’auteur veut que ces animaux fantastiques servent un point de vue neutre, pour observer comment les humains traitent les bêtes. Le problème c’est que lesdits observateurs sont en tous points similaires aux humains et vivent dans une société identique à la leur, l’unique différence explicite étant qu’ils soient techniquement d’une autre espèce. Pourquoi ça me pose un problème ? Les trois quarts du livre sont clairement un plaidoyer contre la maltraitance animale et envers le végétalisme, et je n’ai rien contre ça, mais dans ces animaux humanisés, il y a également des animaux omnivores ou carnivores. Eux qui sont si révoltés, que sont-ils sensé manger ? Le livre élude ce point. Ça n’a aucune cohérence. Rien que Jefferson aime manger des pizzas au fromage ou des pommes de terre à la crème, ce qui contredit directement le passage où l’on critique le fait d’enlever le veau à la vache pour prendre son lait, etc.
L’intention de fond semble noble, et je suis loin d’être insensible à la cause. Or je n’ai fait que tiquer aux nombreuses incohérences. C’est bien d’avoir un message, mais il ne faudrait pas oublier que c’est un roman fantastique qui nous est vendu ici, pas un article ou une conférence, et le fond d’une fiction n’est pas valorisé s’il n’est pas présenté sous une bonne forme, bien construite. Ici, l’univers est mal pensé et ne tient pas debout. Même côté style, moi qui suis d’habitude friand de l’efficacité de Mourlevat et de ses pointes de fantaisies, j’ai aussi eu du mal. Il y avait aussi un décalage entre le ton enfantin et la violence de certains passages. Je pense que c’était voulu pour s’adresser autant aux plus petits qu’aux plus grands, comme le font en général les meilleurs romans jeunesse, mais dans le cas de Jefferson, la mayonnaise ne prenait pas. Ça donnait seulement l’impression ambiguë de s’adresser à un public plus âgé avec un langage destiné à plus jeune, ne convenant du coup ni à l’un, ni à l’autre.
Certes il y a des moments amusants ou touchants, mais le manque de solidité du tout fait que j’ai eu du mal à les apprécier, et que j’ai survolé ces moments-là sans vraiment les apprécier.
Ma première vraie déception avec cet auteur. Cela n’enlève en rien la qualité d’autres de ses œuvres, mais c’est dommage, surtout pour parler d’un sujet aussi important que la souffrance infligée aux animaux.
Bien entendu cela reste un point de vue personnel, et je comprends qu’on puisse adhérer à cette fable messagère malgré ses maladresses.