Dans ce roman à forte tendance autobiographique, l’écrivain canadien d’origine indienne (Ojibwé) emporte l’adhésion grâce à un évident talent de conteur qui correspond exactement à ce qu’il fait dire à son personnage, Saul Indian Horse (page 213 sur les 263 que compte l’édition 10/18) : « Je quittai l’arrière-plan pour devenir un blagueur, un clown, un conteur qui relatait des histoires de voyages et d’événements insensés. En fait, je n’en avais jamais vécu aucune, mais j’avais suffisamment lu pour rendre ces récits vivants, crédibles et captivants. »
Le roman présente Saul dans ses jeunes années et dans son milieu d’origine, en compagnie de sa famille qui vit dans les grands espaces canadiens. Ces 10 premiers chapitres (relativement courts) ont leur importance, car ils remontent aux racines du personnage : son goût pour la liberté, son attachement à sa famille et à son clan et surtout cette errance dans des conditions difficiles (le froid, la neige) qui, tout en se finissant de façon abrupte, fait sentir un don particulier :
A certains moments, Saul entend une voix l’appeler et il voit également des événements qui surviennent là où il se trouve mais à une époque incertaine. Il semblerait qu’il ait un don de type chaman.
Le don de conteur de Richard Wagamese ne se dément jamais, jusqu’à la fin qui apporte une révélation bouleversante. Une bonne partie se passe dans un pensionnat (St. Jerome’s Indian Residential School) où des catholiques prétendent éduquer des gamins (garçons et filles) qui ont en réalité été enlevés (à leurs familles indiennes), chacun dans des conditions particulières. En guise d’instruction, ces gamins reçoivent un très sévère apprentissage de la vie où les brimades s’accumulent contrairement aux connaissances. Néanmoins, Saul apprend à écrire, ce qui lui permet de restituer son expérience personnelle de brillante façon (en tant que narrateur de ce roman).
Saul arrive à St. Jerome’s encore très jeune et sa rencontre avec le père Boutilier sera déterminante. Celui-ci lui fait découvrir le hockey sur glace, que les plus grands pratiquent sur une patinoire à ciel ouvert dans un terrain un peu à l’écart. Fasciné par ce qu’il observe, le jeune Saul n’aura de cesse d’intégrer ce ballet. Trop petit, il devra d’abord se contenter de préparer la patinoire pour lisser la surface de la glace. Mais, comme il a accès au lieu et qu’il a tout loisir pour observer les hockeyeurs, il apprend la technique tout seul, avec les moyens du bord : « Je voulais acquérir un toucher délicat, une habileté comparable à celle de Jean Béliveau, remontant la glace avec la rondelle au contact de la palette de sa crosse comme si elle y était fixée par une ficelle invisible. » Très personnelle malgré une son aptitude à l’imitation, son approche du hockey satisfait son goût pour l’esthétique (mouvements, trajectoires).
Saul joue régulièrement dans des équipes où tous sont plus âgés que lui. Déjà naturellement petit (mais très vif et souple), il détonne régulièrement par rapport aux autres. Il fait taire les quolibets par ses qualités naturelles renforcées par une incroyable volonté. Le don qu’il a découvert en lui, il apprend à le maîtriser. Quand Saul surprend adversaires et spectateurs, Wagamese ravit le lecteur, sans jamais trop en faire. La description des matches pourrait rebuter par son aspect technique. Au contraire, l’auteur s’arrange pour faire sentir le jeu à merveille. C’est un pur bonheur de lire ses descriptions d’actions de jeu. Il se met dans la peau du hockeyeur pour nous faire vivre la capacité de Saul à se transcender. Et s’il voulait faire le malin, narguer ses adversaires par sa classe, la réalité le rattrape vite fait. Le personnage y gagne en humanité. Wagamese donne à admirer ses qualités, sans jamais nier ses défauts. Bien entendu, son enfance s’avère déterminante.
Épaulé par ses coéquipiers et son entourage, Saul n’affronte pas que ses adversaires. Il affronte aussi ses démons. Malheureusement, plus il progresse et intègre des équipes fortes, moins il prend de plaisir à jouer. Là où le roman s’élève vraiment, c’est en montrant que Saul peut dépasser tous ses revers, ses rancœurs et haines. C’est en lui-même qu’il pourra trouver ce qu’il cherche, apprendre qui il est. Peut-être après avoir fait la paix avec lui-même et son passé, pourra-t-il un jour troquer l’amour du sport contre l’amour tout court, qui passe par l’acceptation de soi.
On arrive au bout de ce roman avec de très fortes émotions (et même sans connaissance particulière du hockey). Wagamese réussit ce que peu arrivent à faire : donner énormément à sentir avec une belle économie de moyens. Je serais bien tenté d’annoncer « Jeu blanc Waganese » bien que l’expression renvoie au tennis et qu’elle m’amène à évoquer le seul point qui me gêne un peu :
l’apparente facilité avec laquelle le père Boutilier laisse partir Saul vers une vraie carrière de hockeyeur.
L’incongruité du titre français (titre original Indian Horse) se justifie par l’emploi répété de l’expression par le narrateur, dans des moments de doute extrême.
Le style de Wagamese participe largement à son talent de conteur. Très fluide, il ne se contente pas de privilégier une narration irréprochable. L’auteur sait également s’arrêter à la beauté des choses (de la nature en particulier) :
« Alors, le ciel se teinta de violets, de bleus et d’indigo. Le chant s’éleva encore davantage et les grandes lumières du Nord apparurent pour danser sous l’œil impassible de la lune. »