Coup de cœur pour la prose soignée de cette auteure et sa déambulation nostalgique dans les rues du Havre.
Voilà bien longtemps qu'on avait ouvert un livre de Maylis de Kerangal, figure respectée de notre petit monde littéraire français. On craint toujours un peu les effets de style trop souvent appuyés de nos auteurs qui concourent les prix en vue. Mais bien sûr, on a fini par céder aux sirènes médiatiques.
Et on a vraiment bien fait : ce Jour de ressac est un excellent roman.
Une parisienne est convoquée par la police du Havre : on a retrouvé le cadavre d'un homme sur la plage, un inconnu. Seul indice retrouvé dans ses poches : le numéro de téléphone de la dame.
Ce déplacement au Havre va évoquer les souvenirs de son enfance (elle y a grandit, il y a longtemps) mais elle ne reconnait absolument pas cet inconnu.
➔ Avec ironie, on pourrait presque reprendre un titre paru récemment : Il ne se passe jamais rien ici.
Car oui, il ne se passe pas grand chose dans le bouquin de Maylis de Kerangal.
Mais alors comment fait-elle pour nous accrocher ainsi pendant plus de 200 pages ?
Le temps d'une petite journée, une femme déambule dans la ville du Havre (et c'est pas la plus glamour de l'hexagone, hein ?!), errant au fil de sa mémoire.
Une image est évoquée ici. Un souvenir surgit plus loin. Une scène en évoque une autre.
Oui et alors ? ...
Alors la très belle prose de l'auteure opère sa magie et nous captive, nous enserre dans ses filets subtils.
➔ Ce sont des fantômes qui hantent les pages de ce récit : celui du cadavre dont ne sait rien. Celui de l'enfance et des souvenirs bien sûr.
Et puis surtout le fantôme de la ville du Havre, celle d'avant la destruction de 1944 par les Alliés, car oui, cette ville, détruite et reconstruite, est bien le personnage central du bouquin.
[...] Une ville qui représente un moment, où les couches historiques sont invisibles, aplaties tout au- dessous.
➔ Voilà un roman où tout se joue dans l'ambiance un peu mélancolique, un peu nostalgique qu'a su retranscrire Maylis de Kerangal. Un roman qui nous touche, qui nous oppresse un peu parce qu'il nous questionne sur la mémoire que nous garderons des gens que l'on a connu, des visages de nos proches. Qu'en reste(ra)-t-il ? Quels seront les "signes particuliers" dont nous nous rappellerons, une fois le temps passé ?
➔ Et puis, comme toujours avec cette auteure, il y a les petits à-côtés où l'on devine le soin apporté à la documentation : Le Havre bien sûr et les destructions de 1944, mais aussi quelques belles pages sur le métier de "doublure" (c'est le métier de l'héroïne qui prête sa voix à différents acteurs), les pilotes du port du Havre, les réfugiés en transit pour l'Angleterre, ... autant d'informations que l'on déguste comme de petites gourmandises fourrées dans le gâteau.
Car on ne peut que savourer la plume de cette auteure, les mots précis choisis avec soin, les tournures travaillées mais qui évitent l’afféterie.
[...] La plage du Havre est populaire, elle est portuaire et municipale.