Joyeuses apocalypses par Hard_Cover
Les Trésors de la SF, dirigée par Laurent Genefort, est une très bonne collection. Si je ne l'ai jamais dit, l'erreur est maintenant réparée. Il faut dire qu'avec l'intégrale Verlanger (trois volumes déjà parus et un quatrième de prévu), du Coney (Le Crépuscule des mondes), du Pelot (Orages mécaniques) ou du Sprague de Camp (La Saga de Zeï), la collection possède déjà un beau catalogue.
Avec Joyeuses apocalypses, Genefort réédite des romans et nouvelles d'un auteur ma foi méconnu. En tout cas je ne le connaissais absolument pas. C'était un tort, comme je l'ai découvert, car l'omnibus ici présenté ne contient que du bon et s'il est représentatif de l'œuvre de Jacques Spitz, alors on peut affirmer que ce dernier fut un génie.
Premier roman du livre, La Guerre des mouches nous fait découvrir comment les diptères, devenues intelligentes suite à une mutation naturelle (du darwinisme pur et simple), deviennent une menace mortelle pour l'humanité.
Tout au long du roman, Jacques Spitz fait montre d'un talent d'écrivain qui, le lecteur qui ne le connaît pas le découvrira avec les autres romans et nouvelles de Joyeuses apocalypses, semble caractéristique de son œuvre. On se laisse facilement convaincre par cette histoire fantastique, mais parfaitement intégrée au contexte historique (la description du régime allemand est proprement juste et piquante), écrite avec une efficacité emprunte d'humour, d'ironie, voire même de cynisme. Car Jacques Spitz, comme le souligne Joseph Altairac dans sa postface, est un auteur qui n'hésite pas à brocarder les politiques, les militaires et porte un regard acéré sur la société de son époque.
Autre caractéristique de l'auteur : le pessimisme. Car une histoire de Jacques Spitz se termine généralement mal. Dans La Guerre des mouches, l'Homme laisse sa place à la Mouche. Dans L'Homme élastique, on voit une avancée technologiquement bouleverser complètement la société humaine, la plonger dans le chaos.
Le deuxième roman de Joyeuses apocalypses raconte comment le docteur Flohr découvre le principe de contraction et de dilatation des atomes et réussit par la même à modifier la taille des choses et des gens. Pour obtenir des fonds lui permettant de poursuivre ses recherches, le scientifique propose son invention à l'armée, qui s'en servira pour gagner la guerre avec l'Allemagne. Mais une fois le conflit achevé vient le temps des applications civiles. Or, Spitz donne abondance d'exemples de la vénalité, de la futilité, de l'inconscience des hommes à qui on laisse le pouvoir de manipuler les lois de la Nature. Usant encore de son cynisme décapant, l'auteur ne laisse rien au hasard pour se moquer des travers des hommes et des femmes et railler la société de consommation.
Jacques Spitz voue un mépris certain pour la chose militaire. Il a servi au cours des deux guerres mondiales et c'en est sûrement là la cause. Du moins parle-t-il en connaisseur du sujet. Dans les trois romans de Joyeuses apocalypses, il ne rate pas une occasion de railler les militaires.
C'est évidemment particulièrement le cas dans La Guerre mondiale n°3. C'est la guerre froide, mais elle va rapidement devenir chaude. L'URSS prend très vite l'avantage, notamment parce que les États-Unis restent passifs. Spitz fustige impitoyablement les différentes nations belligérantes, leurs réactions face à l'avancée des « Rouges », comment elles se satisfont de l'occupation communiste. Tout cela, évidemment, avec l'humour qui est devenu familier au lecteur. Et si les Américains sortent vainqueur de cette Guerre Mondiale n°3, ce n'est pas sans quelque pirouette scénaristique qui ne renforce que l'image sombre que donner l'auteur d'une nation qui se veut une superpuissance mondiale aussi bien que l'URSS, et pas pour de meilleures raisons, comme le montre la conclusion du roman.
Avec ces trois romans, la qualité d'auteur de Jacques Spitz, la puissance de son imagination et ses capacités à se moquer du monde qui l'entoure sont parfaitement démontrées. Les six nouvelles qui s'y ajoutent ne font alors que renforcer magistralement l'admiration du lecteur pour un écrivain passionnant, aussi habile dans la forme longue que dans la courte, à l'imagination foisonnante, capable d'émerveiller le lecteur tout en lui lançant un message clair : « nous allons vers une apocalypse certaine, les chemins pour l'atteindre sont nombreux, mais rien n'empêche de les suivre joyeusement ».