Commençons par le quatrième de couverture, qui ment directement à son lecteur : autant le dire tout de suite, pas l’ombre d’un clown dans Joyland, aucune référence à Ca, et pas la moindre angoisse.
Le Stephen King de Joyland, c’est le Stephen King qui racontait déjà si bien le malaise adolescent dans Marche ou Crève, dont l’intrigue puissante rythmait le violent passage à l’âge adulte de Ray Garraty. Sauf qu’ici, l’intrigue tarde à venir. On hésite entre polar et récit initiatique; le roman reste aussi à la lisière du fantastique, avec de vagues et timides apparitions de fantômes qui sont l’affaire de quelques lignes. A peine est-il question du fameux meurtre d’une jeune femme dans le train-fantôme de Joyland, que l’on nous vend en quatrième de couverture comme l’intrigue principale du roman. L’enquête est amorcée au bout de 170 pages, soit la deuxième moitié du livre, après une longue introduction à l’univers du Parc et aux déboires sentimentaux du héros, Dev.
Remettons les choses à leur place. Stephen King est un conteur hors pair, il n’est plus besoin de le prouver, et il n’est pas question d’une quelconque régression de celui qui restera parmi les écrivains les plus influents et les plus doués de son époque. Il conviendrait d’abord de condamner le rédacteur du quatrième de couverture, à qui l’on demandait sans doute de vendre les références du maître de l’horreur et du suspens. Du parc d’attractions monstrueux et dérangeant, on ne verra rien. Ceci étant dit, il n’en reste pas moins que l’intrigue démarre doucement, et bien trop tard : Annie et Mike, personnages centraux, n’apparaissent réellement qu’après les 150 premières pages avalées. Si on se laisse volontiers séduire par l’ambiance désuète du Parc, on ne cesse cependant de guetter la faille dans cet univers brillamment décrit -comme toujours chez King-, mais si peu ou si superficiellement exploité.
Ce récit initiatique d’un jeune adolescent au coeur déchiré par son premier amour aurait pu s’inscrire dans la lignée de La Ligne Verte, où King avait laissé le fantastique s’insinuer peu à peu dans le récit, et c’est ce que j’attendais. Je ne regrette pas tant le maître du fantastique que le maître du suspens : le roman se déroule sans surprises. Encore une fois, on est à la lisière du polar et du fantastique, mais sans jamais pénétrer l’un ou l’autre.
Une réelle frustration à la lecture rapide de ce roman qui se dévore avec une impatience jamais satisfaite. En quête d’une intrigue remarquable telle qu’en est capable le maître King, qui peut décliner un simple concept en un récit à multiples interprétations (encore une fois, relire Marche ou Crève …), je n’ai pu que refermer Joyland avec cette désagréable impression d’un récit de commande, écrit sur une impulsion, avec la confiance légitime que King peut accorder à son lectorat. Contrairement à beaucoup d’autres de ses romans, on le sent peu investi, lui qui d’ordinaire sait si bien appuyer ses descriptions, avec cette plume sèche et franche, bien que remarquablement empathique.
Stephen King dans un parc d’attractions, c’était pour moi le roman de l’année. Je n’ai plus qu’à attendre que l’envie le reprenne de s’aventurer plus profondément dans Joyland …