Mon avis sur Jude l'Obscure découle d'un quiproquo. Je m'attendais à un auteur classique anglais qui aurait écrit une histoire d'amour cynique mais palpitante avec quelques piques envers l'institution sacro-sainte du mariage.
Je n'aurai pas pu plus me tromper.
Ce livre n'a été qu'un étonnement croissant.
Déjà pour le style d'écriture. Je trouve que pour un auteur fin XIXème la narration un peu brute fait très début XIXème et à l'opposé, le vocabulaire est moderne (bien que suranné pour nous). J'en viens à douter de la qualité de la traduction mais après tout j'ai qu'à mieux lire l'anglais !
L'histoire avance lentement, a t-elle point que le résumé raconte la moitié de l'ouvrage, ce qui m'a passablement agacée ! Cette lenteur est indispensable. Les personnages sont tellement complexes qu'on ne peut pas en faire des raccourcis sous peine de cliché.
L'intellectualisme du livre, parsème le texte de grand discours, qui ralentissent l'histoire au profit de la réflexion. Puisque je voulais de la passion en lisant ce livre j'ai été un peu frustrée, mais sans m'en rendre compte j'étais amenée à réfléchir, penser, questionner et surtout à être tout à fait d'accord ! De plus je pense que même sans être soit même un intello le livre est si bien construit qu'on réfléchit sans se fatiguer même après une longue journée de taf. Je prenais le livre en main comme en m'installant devant un blockbuster (lobotomie en moins)!
Là est tout le talent de l'auteur car s'il peut être étiqueté d'histoire d'amours (oui avec un s à amour mais pas à histoire) tout le livre raisonne d'une même logique de pensée. Tout est lié à cette société conventionnelle honnie dont Thomas Hardy fait la critique la plus acerbe et éclairée que j'ai jamais lu.
Là je vais devenir enthousiaste.
Car oui Thomas Hardy a fait scandale mais, si les choses ont légèrement évolué, il y a encore tant d'absurdités !
Le mariage y est estampillé comme une contrainte aliénante et illogique, au profit de l'amour.
L'amour s'y met au pluriel car il n'y a pas entre homme et femme qu'une relation (maritale ou sexuelle) possible.
La place étriquée des femmes y est considérablement critiquée, soumise aux conventions, l'auteur affirme qu'hommes ET femmes en souffrent. Bien que la pauvre Sue soit tellement plus lunatique et torturée que Jude, on comprend qu'il s'agit d'une pression sociale plus forte sur ses épaules qui l'amène à tant de passion.
La passion n'y ai pas que charnelle. C'est en cela que se livre devrait vraiment faire école ! Sans pour autant critiquer la sexualité.
Les liens familiaux sont-il immuables ? Doit-on faire nécessairement des enfants ? Doit on mettre au ban de la société un enfant qui n'est pas né là où il aurait du ?
Et dis moi, te paraît-il logique qu'on est un droit de propriété sur qui que ce soit ?
Ensuite l'éducation, le déterminisme de sa naissance est passablement pointé du doigt. C'est cela qui va faire la dureté de la vie de nos personnages.
Ses questions savamment posées (et résolues!) vont faire le malheur de nos héros qui ne sont pas nés dans la société qu'ils auraient voulu, et celle ci, illogique, va les broyer, eux et les autres, à la différence qu'eux s'en rendent compte et tentent de se battre, de s'en extraire.
"Ainsi donc, debout devant cet officiant, tous deux jurèrent qu'à n'importe quel moment de leu vie, ils croiraient, désireraient et sentiraient exactement ce qu'ils avaient cru, senti et désiré les quelques semaines précédentes. Ce qui est aussi remarquable que ce serment même, c'est que personne n'en semblait le moins du monde surpris."
Moi qui m'attendais à une jolie histoire d'amour, j'y ai rencontré un auteur qui, de plus d'un siècle mon ainé, était en presque-parfaite adéquation avec moi.
M. Hardy, bravo d'avoir eu à la fin du XIXème siècle, une si claire vision de notre société. D'y avoir proposer des relations entre humains saines et d'en avoir écrit un roman !