Bienvenue à Gooleness, riante station balnéaire du Nord de l'Angleterre, grise, froide, triste et moribonde. Lieu charmant, où toute vie semble avoir déserté, et où l'on vient s'enterrer en attendant la mort.
C'est là que vivotent Annie et Duncan. Ensemble depuis 15 ans, on ne peut pas vraiment dire qu'ils forment un couple pour autant. Certes, ils partent en vacances ensemble et, de temps en temps, ils font l'amour, mais est-ce suffisant pour s'appeler "couple" ? Annie pense plutôt à des colocataires. Il faut dire qu'entre eux deux se sont glissés deux autres personnages.
Le premier de ces personnages s'appelle Tucker Crowe. C'est un chanteur des années 70/80, qui a brutalement mis fin à sa carrière alors qu'il était en pleine tournée de promotion de son album le plus célèbre, Juliet. Depuis, Tucker n'est connu que par assez peu de monde, et Duncan fait partie de la petite quinzaine d'inconditionnels qui consacrent tout leur temps à l’œuvre de Crowe. Et on étudie les paroles de ses chansons pour y chercher des références littéraires ou culturelles. Et on cherche les influences musicales (un peu de Dylan, pas mal de Leonard Cohen). Et on collectionne tous les enregistrements de concerts de Crowe, comparant des dizaines d'interprétations de la même chanson.
Duncan consacre donc sa vie à Tucker Crowe. Au point de ne pas avoir de vie. Au point de sacrifier son "couple", convaincu qu'Annie est enchantée de partager son admiration. Même quand ils partent en vacances c'est pour aller aux USA sur les traces du chanteur. Les premiers paragraphes du roman se déroulent dans les toilettes miteuses et puantes d'un club de Minneapolis, ces fameuses toilettes connues de tous les "crowologues" où le chanteur a décidé de mettre fin à sa carrière. Lieu d'un quasi-pélerinage mystique où Duncan se fait prendre en photo, faisant semblant d'uriner.
L'autre personnage qui sépare les deux amants, c'est un enfant. L'enfant qu'Annie n'a pas eu. Parce qu'un homme comme Duncan, l'immaturité incarnée, ne fait pas d'enfant. Et, arrivée à la quarantaine, Annie sent tout le poids de cet absence. Comme si ce fantôme d'enfant était la représentation de tout ce qui ne va pas dans ce couple. Annie a l'impression d'avoir perdu 15 ans de sa vie, 15 années passées comme un coma. Les questionnements s'accélèrent.
C'est la réception, en avant-première, du nouvel album de Tucker Crowe qui va tout déclencher.
Tout le monde s'est accordé à me dire que, pur un premier roman de Nock Hornby, j'aurais pu tomber mieux. Et je le conçois : Juliet, Naked est un roman agréable et sympathique mais pas forcément génial. Il suit un rythme pépère tout au long de ses pages, on ne s'y ennuie pas un instant, il y a de l'humour et des portraits psychologiques fouillés, mais jamais le roman ne décolle vraiment. Hornby semble toujours être au bord de quelque chose sans jamais vraiment l'atteindre.
Mais ne boudons pas notre plaisir : c'est quand même une lecture franchement agréable. La description de Gooleness est hilarante. On a de véritables personnages approfondis (même si Hornby n'évite pas toujours les lieux communs).
Et l'auteur nous donne toute une réflexion sur l’œuvre d'art et sa réception. L'artiste est-il forcément le mieux placé pour parler de son œuvre ? A qui appartient une œuvre d'art : à son auteur, à son public, à des spécialistes ? Doit-on forcément rattacher l'interprétation d'une œuvre à la biographie de son auteur ?
En conclusion, un roman vraiment sympathique, qui échoue à devenir excellent mais qui constitue une belle entrée en matière, me donnant envie de me plonger plus avant dans l’œuvre de Hornby (oui, je sais, High Fidelity doit constituer une priorité).