Le marquis de Sade, c'est pas un auteur qu'on trouve par hasard, on y va sciemment, quelques soient nos motifs, les livres ne sont pas les plus simples à trouver et sa réputation n'est plus à faire. Dans tous les cas, on s'attend à trouver de l'irrévérence, de la provocation et c'est précisément ce qui fait le charme de cette œuvre, au début. Les vertus de Justine la mène forcément à un malheur, façon facile de débunker le christianisme, les violences répondent parfois à une curiosité morbide qui peut nous avoir poussée à tester du Sade, les discours qui alternent les viols sont tellement ridicules qu'ils en deviennent drôles comme le discours du comte de Bressac aux pages 56-57 de mon édition qui parvient tranquillement à la conclusion que le meurtre est une chose tout à fait vertueuse. D'autres discours sur la religion sont attirants à certains égards comme celui, encore une fois de M. de Bressac, aux pages 51-54.
On se dit de plus qu'à cette époque, c'est osé de publier un bouquin pareil, que c'est l'asservissement à une vertu figée, ni logique ni laïque et elle même dépendante d'une aristocratie toute puissante que Sade combat.
Puis, une centaine de pages passent et les qualités qu'on trouvait au récit avec. Les viols sont plus violents et décrits à profusion, les monologues se ressemblent, perdent de leur irrévérence pour n'être plus que des délires ego-masculinistes, l'acharnement sur Justine devient juste gênant, l'expérience n'est plus que le triste spectacle de Sade prenant son pied.
Le roman est pourtant bien écrit, je ne sais pas si c'est un style "très XVIIIeme" mais en tout cas ça fait pas moderne. Mais là encore, le lexique, les métaphores ne se renouvellent pas et les temples où on brûle son encens et autres glaives impures lassent vite.
Pour la fin, Sade aurait pu juste écrire "ça se finit bien" tellement c'est nul, peut être essaie-t-il encore de nous leurrer sur ses intentions ou tente-t-il vainement de respecter un cahier des charges de Disney du XVIIIème. La seule chose pire que Sade qui décrit du viol est peut être Sade qui écrit du bonheur. Le doute sur l'identité du magistrat et sauveur M. S*** a quelque chose d'infiniment malsain.
Tous les discours séparant les viols se résument à un individualisme total, chaque crime est un calcul, qu'est ce que ça m'apporte, qu'est ce que ça me coûte à MOI. La seule réponse de Justine qui, malgré une éloquence qui lui sert autant qu'une appendice n'est pas le couteau le plus aiguisé du tiroir, est la foi. Autant vous dire que c'est fort insatisfaisant pour un lecteur non croyant et cela peut donc initier une réflexion sur le pourquoi du bien. Dès lors, je vous propose mon humble participation avec cet article : https://shs.cairn.info/revue-les-cahiers-internationaux-de-psychologie-sociale-2012-1-page-77?lang=fr&tab=texte-integral (Shankland, R. (2012) . Bien-être subjectif et comportements altruistes : les individus heureux sont-ils plus généreux ? Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, Numéro 93(1), 77-88. https://doi.org/10.3917/cips.093.0077.) qui tend à montrer que même un individu purement égoïste peut œuvrer pour le bien.
Bref, une telle lecture peut tout autant cultiver votre misanthropie (misandrie plutôt non ?) et la laisser prendre racine dans votre cœur que raviver votre hargne et vous prévenir de toute économie sur le désherbant. Dans tous les cas, c'est une expérience atypique et cela provoque quelque chose chez le lecteur, malgré tous les défauts cités ci-dessus.
Désolé pour le manichéisme de cette critique mais Sade ne s'embarrasse pas d'une telle retenue.