Premier ouvrage de Donatien Alphonse François de Sade dît "le marquis de Sade", Justine, ou les malheurs de la vertu brille par sa noirceur. Las des romans à l'eau de rose qui ne montre que "l’ascendant de la Vertu sur le Vice", mécontent de la morale niaise qu'ils distillent, Sade, dans un élan destructeur plein d’irréligion, va s'employer à dépeindre méticuleusement toute l'atrocité d'un rapport contraint mêlé aux fantasmes pervers de libertins débridés dans une débauche de scènes macabres dont l'horreur n'a d'égal que le plaisir malsain que le lecteur va prendre à suivre les mésaventures de l'héroïne
Justine, a-t-on besoin de le rappeler, née sous les plus meilleurs augures voit son destin se briser à la suite de la mort de ses parents causée par la banqueroute de la famille. Elle et sa soeur Juliette, fraîchement sorties du couvent, vont emprunter deux voies divergentes pour s'en sortir. L'une va garder sa vertu. L'autre va se plier au vice. Les quelques 300 pages qui suivent ne font que retracer le parcours tumultueux de Justine qui saute (sans mauvais jeu de mot) de malheurs en malheurs à vouloir conserver à tout prix une vertu qui a sauvé sa soeur dès lors qu'elle y a renoncé.
Les tableaux que peint Sade sont d'un réalisme troublant et les scènes épouvantables qui plongent le lecteur dans une turpitude profonde, innombrables. But inavoué, il réussira même à lasser ses lecteurs des atrocités commises avec impudeur en utilisant une structure redondante qui ressemble plus à une lente descente aux enfers qu'à un guide du parfait écrivain. Les erreurs répétées et le caractère naïf de son héroïne exaspèrent au point de finir par croire que ce qui lui arrive est mérité voire recherché ; ainsi Sade parvient grâce à cette subtile méthode à nous faire haïr la vertu même.
Le libertin, après avoir rempli son o(ri)ffice, ne se contente pas de faire disparaître Justine au cours d'une des nombreuses séance de torture qu'elle a subi mais la foudroie alors qu'elle semblait sortie d'affaire pour de bon afin de ne plus laisser de doutes quant à l'absurdité d'une telle conduite.
Sade réprouve la "lumière" qu'a apporté les philosophes qui s'en revendique pour n'en souligner que leur ombre projetée et chaque scènes d'horreur qu'il décrit sont systématiquement suivies d'une tribune où le libertin, tantôt didactique tantôt hermétique mais toujours virulent, étale au grand jour son athéisme et sa haine du conformisme dans des envolées lyriques toujours lucides, éloquentes et bien souvent pertinentes.
S'il fallait résumer cette singulière oeuvre et la replacer dans le panorama littéraire, elle serait indubitablement à classer dans les fables moralisatrices tant le roman est un flamboyant plaidoyer en faveur du vice et ses vertus et un témoignage criant des vicissitudes qu’incombe la vertu.