Impossible de faire une chronique objective de ce livre, qui bouscule au-delà de l'imaginable un esprit rationnel comme le mien. Tout s'y mélange, les époques, les personnages, le réel, l'irréel, la vie, la mort, le sublime et le trivial. C'est complétement baroque, foisonnant et de fait, comme si j'avais été ensorcelé par sa lecture, il m'est à peu près impossible d'en sortir quelque chose de solide, de structuré. Un truc avec lequel on puisse poser des thématiques qui, mises bout à bout ou juxtaposées, permettraient d'appréhender un petite peu de la fameuse substantifique moelle de Kafka sur le rivage. D'abord, qu'est-ce qu'il irait foutre sur le rivage Kafka, lui qui n'est jamais sorti de Prague (j'exagère sans doute un peu, là) que pour se rendre au sanatorium.
Ayant ainsi acté mon impuissance à y trouver des clés, je vais tout de même tenter de décrire comment je l'ai ressenti, ce fichu bouquin. Eh bien, comme une sorte de mise en musique de l'âme humaine, selon ses nombreuses et profondes facettes. Un voyage à travers le Japon qui est en fait un voyage à travers les tréfonds du moi, du surmoi et du ça. Tout y passe : amour, sexe, inceste, mort, meurtre, folie, névroses, joie, apaisement, délires hallucinatoires, poésie, musique, rêves, jeunesse, vieillesse. J'en oublie certainement, d'ailleurs la liste n'est - par essence - pas exhaustive. Et tout ça qui se mélange allégrement, ainsi que c'est le cas dans le psychisme de tout un chacun.
De façon connexe mais plus aisée à percevoir, on y trouve également une confrontation du Japon traditionnel d'avec le Japon moderne, sous influence étasunienne. Ce dernier étant évoqué à travers de nombreux détails (comme des noms de produits ou de marques, par exemple). Ainsi qu'un hommage aux bibliothèques et aux livres, ce qui m'énerve toujours un peu de la part d'un écrivain, de la même façon qu'un film qui parle de cinéma. En règle générale, je perçois ça comme un manque d'ouverture ou pire du nombrilisme, mais c'est un reproche qu'il est difficile à faire à ce bouquin. S'il est autocentré en quelque chose, c'est certainement plus sur le psychisme de son auteur que sur la littérature.
J'allais oublier l'essentiel, c'est très agréable à lire et une fois plongé dedans, les quelques 640 pages de mon édition de poche ont été tombées très vite. La marque d'un grand talent, à n'en pas douter, car pour faire quelque chose de fluide d'un tel méli-mélo d'idées, de concepts et de sentiments, il faut savoir écrire. Chapeau bas, Monsieur Murakami.