Partagée, très partagée en ce qui concerne l'oeuvre de Haruki Murakami, seule et unique que j'ai lu de lui. Déjà du point de vue de l'écriture : à certains moments il écrit extrêmement bien, je suis en tout cas sensible à son écriture, on ne peut pas nier le vocabulaire riche et poétique qu'il utilise ni la facilité qu'il a à créer des phrases singulières et marquantes, or certaines fois je trouve son écriture surfaite, manquant atrocement de naturel, élément qui est sûrement volontaire de la part de l'auteur mais qui, d'un point de vue subjectif de lectrice, me dérange ou du moins me perturbe. Du point de vue de la narration, ce roman est très original et astucieux, il alterne deux formes de narration qui nous éloignent de la monotonie et fait également appel parfois à d'autres voix (celle du garçon nommé Corbeau par exemple), nous nous retrouvons alors en plein coeur d'un roman polyphonique qui alterne entre la voix d'un jeune homme et celle d'un vieillard, deux générations opposées. Du point de vue de la forme il est donc très réussi. Du point de vue du contenu par contre, se forger un avis est plus complexe. Le roman met en parallèle le jeune et énigmatique Kafka Tamura qui, à l'aide de certaines figures (Oshima, Mlle Saeki) apprend comment vivre son avenir dans ce monde, quand Nakata, lui, tente au contraire de comprendre ce qu'a été sa vie passée. Le sujet du livre est extrêmement profond : chercher un sens à sa vie, à ses actes, à son devenir, quel que soit son âge. Les personnages du roman cherchent des choses sans savoir quoi, peut-être le nouveau drame de l'existence humaine ? Certaines énigmes du livre restent également sans réponses, il ne faut alors pas s'énerver et penser plutôt cela comme une démonstration de l'auteur face aux frustrations de la vie, de certaines questions qui restent sans réponse, concept très poétique et dramatique mais qui, d'un point de vue littéraire, peut s'avérer comme "facile", dans le sens où l'on pourrait imaginer Murakami insérer certaines de ses idées brillantes dans son livre sans savoir néanmoins comment les faire aboutir.
L'oeuvre de Murakami est en tout cas mystérieuse, et très riche. Elle présente des personnages attachants et tous hors-du-commun, mais le plus frappant à mes yeux est la façon dont elle mêle poésie et trivialité : nous avons d'une part une oeuvre qui recherche le transcendant, le métaphysique, qui se pose des questions existentielles sans pour autant ne faire attention qu'à l'humain, car dans ce livre il est question également d'arbres, de pluies, de vents, de chats qui parlent, de pierres. Il semble alors essayer d'aller au plus beau, au plus intense, au plus originel. De l'autre côté pourtant, nous avons un étalage des grandes marques internationales comme Rolex et Hilfiger, un systématique détail des plats que chacun mange, une crudité exagérée des scènes sexuelles avec une flagrante absence de poésie, bref, un contraste très frappant entre abstraction et matérialisme qui peut parfois déstabiliser. Il ne m'a personnellement pas déranger lors de ma lecture, j'ai plutôt vu cela comme une nouvelle démonstration de l'écart entre ce que l'Homme a de plus précieux et au contraire ce qu'il a de plus futile, pouvant alors nous amener à réfléchir.
Ce roman est également très riche du point de vue culturel, Murakami passe de Beethoven à Prince en passant par Shakespeare et Sôseki. Même si je ne suis absolument pas contre les références culturelles dans une oeuvre d'art, bien au contraire, j'ai en l'occurence vu par moment ces références toutes plus approfondies les unes que les autres plus comme un étalage de la haute culture de l'auteur que comme faisant partie intégrante du roman, ayant vraiment sa place. Oshima en particulier semble être une encyclopédie vivante et, même si celui-ci est en quelques sortes chargé de l'éducation du jeune Kafka, ce côté de lui est parfois trop marqué, ne faisant de lui qu'une figure de savoir indétrônable. De plus, même si certains longs moments aident le lecteur à se sentir appartenir à l'univers proposé, le roman tourne en rond à certains moments, fait du sur place. Ce n'est évidemment pas le cas du roman dans son ensemble mais certains passages auraient pu, je pense, être écourtés. Ce roman a donc beaucoup de qualités, on s'en souvient après lecture, il nous fait également réfléchir, nous emporte dans un monde plus beau et plus cruel, plus étrange et incompréhensible mais paradoxalement très simple. Murakami a réussi à construire et à s'approprier un univers qui lui est propre de manière intelligente et astucieuse, c'est une expérience de lecture assez singulière c'est pourquoi je la conseille, même si elle peut s'avérer un tantinet bavarde et un poil prétentieuse.