J'étais en exil sur mon île d'Elbe, indifférent à toute oeuvre, toute opinion. Les jours et les semaines passant, j'éprouvais néanmoins l'ennui de l'exilé, la solitude de l'homme résigné à son sort, qu'on n'attend plus nulle part et dont on ignore même s'il respire encore. Cela aurait pu durer encore longtemps, très longtemps. Puis il y eut une femme, une rabastinoise. Le genre de fille à vous consumer juste en posant son regard sur vous. Bref, sans encore me connaitre, cette personne me posa entre les mains, dès notre rencontre, ce petit livre de poche au titre assez curieux, King Kong theorie de Virginie Despentes. J'aimerai bien avoir un avis masculin, se contenta-t-elle de me dire alors. Je lui promis donc de lire le livre et d'en écrire un billet. Chose promise, chose due, à nous deux King Kong...
Despentes, jusqu'ici, je ne connaissais pas vraiment. A priori, c'est une de ces auteures à la réputation sulfureuse, le genre d'écrivain à déchaîner les foudres des critiques et l'aversion des bien-pensants à chaque livre publié. Pourquoi ? Pour son langage cru, sa manière d'aborder de front certains sujets tabous (viol, misogynie moderne, sexe déviant, porno, prostitution...) et pour son opinion assez tranchée, d'aucuns diront pertinente, d'autres caricaturale, sur le clivage moderne homme-femme.
Soit tout ce qu'on retrouve dans cet essai semi-autobiographique où Despentes propose ses réflexions sur le féminisme et la place de la femme dans la société. Pour ce faire, l'auteure de Baise-moi parle franchement, frappe là où ça fait mal (et c'est souvent aux couilles) et n'hésite pas à aborder les sujets qui dérangent en nourrissant son argumentaire de sa propre expérience. Ainsi, Despentes évoque le viol dont elle fut victime étant jeune et s'insurge sur le silence et la honte que ressentent (et auxquelles on fait ressentir) les personnes ayant subies ce type de traumatisme. Sans le moindre misérabilisme, elle relate ensuite son expérience de la prostitution pour finalement questionner l'opinion générale sur ce sujet et mettre en évidence la parfaite hypocrisie qui s'en dégage.
Paru en 2008, cet essai ne perd pas de sa force, certaines actualités récentes faisant encore écho au propos de l'auteure tout en s'appuyant sur les théories de féministes américaines. La société actuelle souffre toujours d'une vision idéalisée de la femme. Celle-ci se résume depuis trop longtemps à n'être qu'une mère, une séductrice ou une épouse modèle. Dès lors que l'ascension sociale d'une femme se fait autrement que par les voies du mariage ou loin de l'ombre d'un homme, la valeur féminine en devient systématiquement diminuée, voire moquée. Il est plus difficile pour une femme de s'affranchir de sa simple valeur sexuelle quand elle réussit, puisque systématiquement rabaissée à n'être que la subalterne de l'homme. La sexualité féminine elle-même pose problème dès lors qu'on ne l'associe pas au plaisir masculin. La femme doit jouir et ne peut se passer d'un homme pour y arriver, autrement ça commence un peu à déranger. L'état lui-même à travers les institutions et les médias, semble refréner l'émancipation totale de la femme pour la résumer à un objet de désir, de questionnement et de jalousie. D'où la surféminisation entretenue par les médias, starlettes, chanteuses et qui se répercute sur toute une frange de la jeunesse, les jeunes ne sachant bien souvent plus quoi attendre de leurs rapports avec le sexe opposé.
Il apparaît aujourd'hui évident pour beaucoup de personnes que l'homme et la femme sont égaux en droits. Et pourtant Despentes nous fait remarquer le contraire tout au long de son propos en mettant à l'index les réflexes misogynes d'un système pensé exclusivement à travers la distinction des sexes. Ainsi, une femme aura toujours plus de difficultés à réussir sans n'être résumée vulgairement qu'à son sexe, à composer avec le regard des autres si elle est seule. Dès lors qu'elle n'entre pas dans le moule, on la condamne et la rabaisse, on amoindrit son mérite simplement parce qu'elle clame sa liberté de penser et d'être comme elle le souhaite, c'est à dire à ne pas répondre aux attentes que l'on a généralement d'une femme, de ne pas se conformer au stéréotype féminin.
"Dès qu'un homme donne son avis, c'est un homme, dès qu'une femme donne son avis, c'est une garce" disait Bette Davis.
Qu'on le reconnaisse ou pas, la femme actuelle (tout comme l'homme à sa façon) souffre encore d'un conditionnement initié dès son enfance, lui rappelant quelque-part qu'elle est du sexe dit "faible" et qu'elle n'a pas droit à certaines choses dont un homme a droit. On en vient là à ce que Kubrick dénonçait déjà en 1999 dans Eyes Wide Shut à travers les personnages féminins de son film : Nicole Kidman passant son temps à brosser les cheveux de sa gamine comme celle-ci le fait avec sa poupée, le commerçant prostituant sa fille et les call girls masquées qui ne servent qu'à assouvir les désirs de notables anonymes lors de la scène de l'orgie. Soit trois visions successives de personnages féminins conditionnés pour répondre à ce que l'on en attend. Dans l'inconscient collectif actuel (et a fortiori dans certains pays orientaux), la femme doit encore se contenter de ce à quoi on la destine ou prendre le risque d'être mis à l'index si elle s'en éloigne. C'est là toute la contradiction d'une société de "parité" et c'est aussi certainement ce qui va changer durant les décennies à venir. Despentes elle, n'a de cesse d'appeler le féminisme à se réinventer, condamnant au passage les schémas machistes de l'époque actuelle et prônant un mouvement féministe plus actif au sein du système actuel.
Reste que si la démarche de l'auteure est tout à fait sincère et louable, son discours peut parfois franchement agacer par son agressivité larvée, son égocentrisme évident (Despentes clame toutes les cinq pages qu'elle est une rebelle issue du "punk rock") et la relative facilité qu'elle a de se défaire d'un sujet. Par exemple, l'auteure a beau trouver des qualités féministes à la prostitution et à la pornographie, elle gomme facilement les contraintes et les dangers auxquelles sont confrontées putes et hardeuses dans leurs tafs respectifs tout en dénonçant la stigmatisation systématique de ces métiers (notamment par les médias). A côté de ça, on ne peut s'empêcher de penser que Despentes garde (même si elle s'en défend parfois) un certain ressentiment envers la gent masculine dans son intégralité, ressentiment dû à son parcours assez chaotique. Moi en tout cas en tant que mec c'est l'impression que j'en ai eu à sa lecture. L'impression que l'auteure cède parfois à l'amalgame grossier et à la provoc pour contenter sa vieille rancune et généralise facilement en classant les mecs comme des êtres pathétiques, souvent cruels et toujours pulsionnels et les femmes mariées comme des putes de luxe, sortes de collabos uniquement réservées à leur époux moyennant une sécurité financière et un certain confort de vie.
Et l'amour dans tout ça ? Despentes ne l'évoque jamais ou très peu. A peine relate-t-elle dans la dernière partie de son livre, à travers une analyse (plutôt pertinente) du film de Peter Jackson, la relation de King Kong (qu'elle propose être une femelle) et de sa captive humaine. Il s'agit pour elle de l'exemple d'un amour sincère, sensuel, désintéressé et platonique. Mais l'amour, dans ce qu'il implique de sentiments et d'attirance physique, n'a de toute évidence pas sa place dans cet écrit. A croire qu'il est une notion fallacieuse pour l'auteure, une valeur démodée que l'on ne ressent plus que par goût de l'illusion ou d'obligation. Tout n'est plus qu'un rapport de force entre les sexes. Ici, on se vend comme une putain, on couche avec l'ennemi, on se soumet à l'autre sexe mais jamais on n'aime car l'amour est dans cette vision-là, synonyme d'hypocrisie, de candeur et de faiblesse. Si l'auteure a indubitablement raison sur le caractère machiste et quelque peu rétrograde de notre société et sur le fait que ça dure depuis des lustres, je ne peux m'empêcher de rester plus optimiste qu'elle quant à l'évolution des pensées. Car les choses changent lentement mais progressivement. Il appartient surtout aux deux sexes de ne plus se cantonner à ce si vieux rapport de force mais à se compléter... ou non. Du moment qu'on se respecte et qu'on se soutient, peu importe le sexe. Je suis optimiste c'est vrai, naïf certainement, un peu con aussi peut-être. Mais bon, je ne suis qu'un homme.