Kirinyaga : vie et mort d'une utopie africaine
Très bon roman, ou plutôt, très bon recueil de nouvelles camouflé en roman.
Ce livre regroupe en réalité huit nouvelles initialement parues dans des revues spécialisées (et qui ont pour la plupart été récompensées par de prestigieux prix littéraires, Nebula et Hugo en tête). Ces huit textes sont encadrés par un prologue et un épilogue qui servent à donner une cohérence supplémentaires à ces textes précédemment séparés les uns des autres.
Kirinyaga relate donc une tentative d'utopie africaine, et même, pour être précis Kikuyu (une ethnie vivant au Kenya).
Et quelle est-elle cette utopie ? Il s'agit d'un retour au source, d'un retour à un mode de vie antérieur à l'arrivée des Européens, avant qu'ils ne polluent les traditions Kikuyus et ne les transforment en Kenyans, ce que le narrateur appellent des "Européens noirs".
Et cette utopie, pour la mettre en place, un groupe de quelques centaines d'individus a lutté pour obtenir de l'administration spatiale une charte leur garantissant un satellite artificiel reproduisant leur territoire et l'assurance de pouvoir y vivre comme ils l'entendent.
Cette communauté va donc s'installer sur Kirinyaga (nom de leur montagne sacrée et aussi de leur satellite) dans un monde sans technologies, où quelques animaux africains non encore disparus (plus de lions ni d'éléphants par exemple) ont été introduit.
Le narrateur donc, c'est Koriba, le Mundumungu (comprendre sage/sorcier/guide spirituel de la communauté) qui s'assure que l'utopie va dans le bon sens.
Et c'est là que ça devient intéressant. Car ce guide spirituel a suivi des études en Europe avant de les rejeter et fait preuve d'une intransigeance à toute épreuve pour que les traditions Kikuyues soient respectées vaille que vaille. Mais dans le même temps, une partie de son "pouvoir" de Mundumungu lui vient de l'utilisation de son ordinateur qui lui sert à communiquer avec l'administration spatiale mais aussi, par exemple, à réguler le climat.
Ce personnage de Koriba est très ambivalent. Motivé par son utopie et la défense farouche du mode de vie Kikuyu contre les influences néfastes des Européens, il est amené à prendre des décisions difficiles, voire cruelles.
En souhaitant le bien de son peuple, on le voit petit à petit s'enferrer dans des décisions absurdes, des postures incompréhensibles pour son peuple et finalement vouloir forcer Kirinyaga à rester figée dans une utopie qui interdit tout changement.
Tout cela est très bien écrit, imprégné de culture africaine, et nous interroge sur ce qui fait et défait l'utopie, ce qui caractérise une société donnée et livre une réflexion intéressante sur les évolutions qui peuvent amener une société à changer et abandonner ce en quoi elle a cru. Chacun des chapitres/nouvelles est un petit bijou, et fourmille de paraboles que le mundumungu utilise pour éduquer son peuple, dans le plus pur style de la tradition orale.
Le personnage de Koriba, à la fois exaspérant et profondément touchant est une réussite et apparaît, à l'image des derniers représentants de la faune africaine évoqués au fil du récit, comme un vestige vivant d'un passé qui ne reviendra jamais plus, le dernier de son espèce. Un thème que l'on retrouve déjà dans Ivoire, du même Resnick, mais traité de manière bien plus mélancolique et plus profonde ici.
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