Intelligence artificielle, amitié et propre de l’homme constituent les thèmes principaux de l’étrange roman du Prix Nobel de littérature 2017. Plongée dans les pensées d’un robot.
Klara, personnage principal et narratrice du roman, cherche le Soleil à tout prix. Non pas pour faire des cures de luminothérapie, ou pour parfaire son bronzage, mais tout simplement pour vivre. Klara est une AA, une Amie Artificielle, un robot créé pour devenir ami avec des adolescents. Se mouvant et réfléchissant grâce à l’énergie solaire qu’elle reçoit, Klara cherche constamment des yeux l’astre solaire, lui parle, lui adresse des prières et le personnifie.
Bien qu’artificielle, Klara ressent des émotions et possède un sens aigu de l’observation. C’est d’ailleurs une condition sine qua non pour exercer la tâche qui lui est confiée : devenir l’amie d’un enfant ou d’un adolescent. Dans la première partie du livre, attendant derrière la vitre d’un magasin d’être repérée par un enfant, Klara vit ensuite auprès de Josie et de sa mère. Josie, enfant malade, est couvée par sa mère, qui a déjà perdu un premier enfant. Klara l’observe, note ses faits et gestes, essaye de comprendre ses réactions, et l’imite.
Klara et le Soleil est un livre étrange et fascinant, au rythme assez lent. Plongé dans la tête de Klara, le lecteur apprend à raisonner de façon très factuelle. Ce qui est beau dans ce roman, c’est la capacité qu’Ishiguro a de nimber son livre de mystère. Plutôt que de tout expliquer et de se perdre dans des descriptions, l’auteur préfère laisser des points obscurs. Ce monde imaginaire existe, tel quel, posé. Au lecteur de le prendre et de l’appréhender. Dans le large spectre de la science-fiction, Klara et le Soleil se classe plus proche de Des fleurs pour Algernon de Daniel Keyes que de Dune de Frank Herbert ou de Fondation d’Asimov.
En faisant d’un robot son personnage principal, Kazuo Ishiguro prouve une fois encore à quel point il parvient à décrire précisément les sentiments entre les personnages et les relations d’ambivalence qui existent, telle la mère de Josie qui aime profondément son enfant mais la surprotège. Klara découvre « à quel point les humains, dans leur désir d’échapper à la solitude, entamaient des manœuvres très complexes et insaisissables ». Car la solitude est partout, celle de Susie dans sa maladie, de la mère divorcée, de la voisine vivant seule avec son fils. Les AA sont là pour pallier cette solitude : mais la présence d’un robot peut-elle vraiment remplacer celle d’un humain ?
« Alors permettez-moi de vous demander autre chose. De vous poser cette question. Croyez-vous au cœur humain ? Je ne me réfère pas simplement à l’organe, bien sûr. Je parle dans le sens poétique. Le cœur humain. Pensez-vous qu’une telle chose existe ? Cette chose qui rend chacun de nous spécial et unique ? Et à supposer que ce soit le cas. Ne croyez-vous pas que pour apprendre Josie comme il faut, vous devrez étudier non seulement ses traits particuliers, mais ce qui est enfoui en elle ? Ne devrez-vous pas apprendre son cœur ? »