Riche, dense et expansif, Koma Kapital détonne et dénote dans un univers éditorial où le plat de l’écrit domine, où la poésie se fait vide de toute substance. A.C Hello remue tout cela.
Pour qui lit Litteralutte, A.C Hello ne doit pas être un nom inconnu, nous avons évoqué sa poésie avec Chambre froide œuvre collective où poème et performance photographique s’entremêlent.
En mars dernier, est paru son dernier recueil Koma Kapital du côté des éditions Les Presses du réel dans la collection Al Dante. Septième publication, tous supports confondus, de l’autrice ; recueil dense et riche dont je vous propose l’exploration.
MONTAGE DE VIOLENCES
Ça commence au passé et s’achève au présent Koma Kapital ; ça commence et se finit avec elle, ce « je », « debout » qui se remet « debout » après la douleur, les douleurs et la « dissolution » de tout, « mémoire, identité, structure » ; après l’amnésie, l’hôpital, le retour. Comment revenir au monde qui a provoqué ces souffrances et ces troubles ? Revenir au « travail » avec toutes les douleurs que cela comporte, revenir à cette existence normée, à la violence banalisée.
moi la violence, moi la violence du choc, moi le choc, moi le choc des
foutus de nous, de nous moi la violence des foutus, des foutus le moi
de la violence, du choc les nous du foutu, du foutu les mensonges des
vendus, des vendus la violence des foutus furieux p. 17
Au travers de ce « je » les violences nous sont données à voir/éprouver. En six parties ou six cercles d’un enfer certain, Koma Kapital trace un parcours. Opérant un montage de différents poèmes parus ces dernières années dans des revues telles que le Pli ou If (entre autres), A.C Hello compose une œuvre mouvante, changeante, avec pour ligne de mire les violences qui parsèment notre mode de vivre. À mesure que l’on progresse dans ces cercles – vers la sortie ? Y a-t-il une issue ? – nous assistons, nous lecteur·ices, à la (re)composition d’un fil narratif, les contours d’un parcours se dégagent, celui de ce « je », cette femme et l’oppression « validiste » à laquelle elle fera face tout au long des pages. Oppression d’une organisation sociale qui n’accepte, ni ne tient compte des plus démuni·es, celles te ceux qui ne peuvent suivre les cadences « infernales » imposées. Monde qui tend vers le contrôle, la domestication des corps et des esprits, qui ne vous donne d’autre choix que l’adaptation ou la mort. C’est ce rapport dont se saisit A.C Hello : tension entre des individus et les « normes sociales » qui leur sont imposées – société articulée autour du travail du capacitisme ou du validisme et de la violence patriarcale. Comment (sur)vivre, continuer d’exister, à sa manière, malgré ce pouvoir qui comprime nos manières d’être. Koma Kapital saisit à bras le texte les souffrances et les douleurs qui résultent de cette aporie : être autre que ce qu’on voudrait nous obliger à être.
moi le million par tous les trous s’enfuyant, moi le million
s’enfuyant, le tout partout du million convulsif, la totalité du tout
partout giclé du million, le million des coins de rue, le souffle du
million livide, les jambes du million blanc et sportif, l’opinion du
million domestiqué sur le million servile, le million stable et
convenable qui stimulait le marché-million, le marché million qui
voulait voir dégénérer les hommes par millions, la grande paix
conviviale des millions sans pitié qui usaient des million de
cadavres, les détenteurs du million qui jouissaient du million de
perdants, la mauvaise mémoire p. 17
Au travers de ces six parties, six cercles de la répression sociale plusieurs angles de vues – de manières d’éprouver – sont articulés, ces violences ordinaires, nous y sommes né·es et y avons crû on ne les remarque même plus, elles nous sont devenues banales. L’écriture changeante et mouvante d’A.C Hello la remet dans son anomalie. Pas tant mouvement de l’écrit, ici, que mouvance de l’écriture. Koma Kapital, kaléidoscope des violences.
Lire la suite de cette recension d'Ahmed Slama sur Littéralutte.