Je ne souhaite pas en dire trop sur l’intrigue, car on peut la lire partout et parce que lire Komodo en ne s’attendant à rien (sans même lire le 4e de couverture comme je l’ai fait) est l’occasion d’une plongée en apnée - c’est le cas de le dire- dans ce nouvel environnement .
David Vann fait de Tracy, son héroïne, un monstre d’amour et de souffrance. Une femme à la fois puissante, mais démunie, perdue et en colère. Le feu couve, elle est sur le fil. On plonge avec elle parmi les requins ou les raies comme au fond de son âme, on retient son souffle sous l’eau comme au-dessus. Tracy est une femme mémorable, elle s’inscrit dans le paysage des douloureuses questions féminines actuelles.
Les deux parties de ce bouquin sont prenantes, étouffantes et très réussies. J’ai tout de même une réserve, qui tient à un léger défaut de rythme dans la transition entre les deux. Nous sommes dans le sillage de l’excellent Aquarium, mais Komodo est un ton en dessous.
Cependant, je ne partage pas certains commentaires déçus de la part des habitués de David Vann portant sur la moindre part de noirceur assurée, et assumée, auquel l’auteur nous a habitués. Pour les fans qui ne se seraient pas encore jetés dessus, soyez rassurés tout de même, nous sommes bien dans un de ses romans , avec les quatre piliers fondateurs : la famille – dysfonctionnelle-, le suicide -celui du père- , la nature -brute et imperturbable- et la violence -psychologique ou par armes à feu. Il n’oublie pas non plus d’insérer quelques bribes autobiographiques. Oui, il est vrai que certains éléments nous éloignent d’un classique dénouement ‘à la Vann’. Mais ce sera finalement une bonne surprise me concernant, parce que si je recherche la noirceur de son écriture, je suis aussi contente d’avoir pu être surprise. Son écriture a tant évolué depuis Sukkwan Island, on peut s’attendre à ce que son propos progresse également. Et à l’image d’Hubert Selby Jr, on lui souhaite de trouver aussi un peu d’apaisement chemin faisant...
Reste la capacité inextinguible de Vann à redéfinir de nouveaux contours, de nouvelles histoires, de nouveaux ressorts et de nouveaux messages autour des fondations -immuables- de sa propre mythologie. Et c’est toujours aussi admirable.