Polar Hero
Pour les mélomanes, il y a le mythe du guitar hero, le gars qui va arriver à faire sortir des sons incroyables de sa gratte, qui va la faire parler, crier, gueuler sur toute son harmonique. Ellroy,...
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le 21 nov. 2010
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Le troisième opus du Quatuor de Los Angeles n'est pas à proprement parler le meilleur roman de James Ellroy dans ce cadre là, mais est peut-être celui qui est littérairement le plus abouti et le plus sophistiqué. L.A. Confidential semble quelque part avoir atteint une forme de réalité quasiment parfaite. Les personnages eux-mêmes, le cadre et les structures méta-littéraires sont poussés au plus haut niveau de qualité, ce qui rend la critique du livre d'autant plus ardue. Le roman s'ouvre sur l'épilogue de l'opus précédent, à mon sens le meilleur "Le Grand Nulle Part" et sur l'exécution du dernier protagoniste vivant du dernier roman Buzz Meeks par un commando de policiers du LAPD mené par ce bon vieux Dudley Smith. Après cela, le roman se déroule sur sept années, à Los Angeles, directement après les événements du Grand Nulle Part dans les années cinquante. Là encore, James Ellroy fait cohabiter trois trajectoires différentes de policiers. Le premier est Bud White, un policier dont la mère a été assassinée par son propre père, obsédé par le meurtre des prostituées et par les femmes battus et qui cache derrière son allure de brute épaisse une volonté profonde de justice. Le deuxième est Ed Exley, fils d'un magnat milliardaire, dont les exploits fantasmés et la brillante intelligence le propulseront au sommet de la hiérarchie policière, armé d'idéaux et de qualités qui tranchent avec la corruption ambiante. Le troisième policier est Jack Vincennes, un ancien policier des stups au passé trouble, qui n'aura de cesse que d'essayer de l'effacer malgré sa proximité avec cet autre bon vieux Ellis Loew. Le roman est complexe car au-delà de ces trois trajectoires qui finissent évidemment par se relier, il fait coexister des intrigues différentes dans un méli-mélo très intéressant. Si le roman s'ouvre sur une affaire interne à police suite à l'agression de prisonniers, il commence réellement avec la fusillade du Hibou de Nuit dans laquelle six personnes sont impitoyablement massacrés pour des raisons obscures. Détailler l'intrigue ici serait un travail d'Hercule tant elle est profonde et multilatérale, il suffira de préciser que cette dernière va remuer en profondeur tous les sous-bassements de la société de Los Angeles : l'institution policière, judiciaire, le milieu du grand-banditisme et finalement de l'industrie, qu'elle soit classique ou cinématrographique.
James Ellroy revient avec cette structure classique du roman noir pour en faire un bijou de grande qualité. Cette corruption malsaine, ce profond pessimisme quant à l'âme humaine, les inégalités et la misère laissent comme dans un marais insalubre vivoter des personnages tout aussi sombres les uns que les autres mais guidés par un espoir infini et intime de rédemption. Là est le génie ellroyen dans ce roman particulier : les trois personnages principaux qui se haïssent tant sont en réalité les mêmes. Ils se sont tous les trois bâtis sur le mensonge et la dissimulation, ils ont un rapport très complexe à la figure féminine (le fameux cherchez la femme), ils désirent profondément une forme de justice et de salut tout en sombrant chacun à leur manière dans des tourments intimes et quasiment inexpugnables de leur histoire. Peu à peu, ces trois personnages dont les liens se nouent se confondent presque en un seul, tant parfois il est possible de les confondre à la lecture, comme s'il n'y avait qu'un seul protagoniste en réalité : James Ellroy lui-même. Le roman est encore plus pertinent par les différents points de vue qu'il alterne puisque le lecteur oscille entre les différents fors des personnages, tout en parfois s'élevant au niveau du simple lecteur de journal ou de rapports de polices. Tout est visible. Tout est transparent. En réalité, tout est transcendant : car tandis que les personnages cherchent la lueur de la rédemption, le lecteur s'écrase sur ceux-ci comme un Dieu du pardon. James Ellroy reste un auteur mystique et produit de son époque, société libérale et puritaine à la fois dont ce Los Angeles fantasmé parfait de complétude est le symbole. L.A. Confidential est un jansénisme romancé.
Le style est encore plus lapidaire, ce qui met en exergue un paradoxe particulièrement incroyable : si le style est plus simple et presque balancé à la figure du lecteur comme une gifle, l'univers crée par l'auteur est pourtant encore plus complet que les précédents romans. Cet évolution constante vers un univers parfait lors du quatuor coïncide avec la pureté simpliste et croissante du style. Un sentiment d'urgence se mêle à un sentiment d'immensité et de découragement face à un cosmos si complet. L'auteur semble également avoir été moins racoleur par l'intrigue qu'il a mis au point, et pourtant l'a complexifié au maximum. A mon sens, L.A. confidential n'est certes pas le plus exaltant et même le plus charmant des romans du quatuor, mais pour l'instant vraisemblablement le chef d'oeuvre toute catégorie du roman noir et du génie ellroyen. Il est une sorte de roman d'école. Finalement, il fonde le roman noir par son existence, alors même que d'autres le précédaient, ce qui est encore la preuve d'une transcendance particulière. Le roman mêle l'intime médiocrité de l'homme avec son espoir le plus fou, le plus brillant et le plus désespéré : être sauvé. Être sauvé. Être sauvé, malgré tout.
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le 29 avr. 2018
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