Pour les mélomanes, il y a le mythe du guitar hero, le gars qui va arriver à faire sortir des sons incroyables de sa gratte, qui va la faire parler, crier, gueuler sur toute son harmonique. Ellroy, c'est pareil. C'est un polar hero. Il est un maître du polar noir américain des années 50, même s'il a commencé sa carrière dans les années 80. Il ne s'encombre pas de la pédanterie et des normes tacites de ses prédécesseurs et laisse sa joie d'écrire s'exprimer, pour le plus grand bonheur de ses lecteurs. « L.A. Confidential » est le troisième volume de son « Quatuor de Los Angeles ». Je laisserai de côté le film de Curtis Hanson avec les interprétations remarquées de Kim Basinger et Kevin Spacey – entre autres... - pour me consacrer uniquement au roman.

Ici encore, nous sommes à Los Angeles. Avec des flics, comme d'habitude. Des intègres, des carriéristes et des ripoux. Bref, la belle faune flicaillère, dans toute sa grandeur et dans toute sa complexité. Je vais d'abord vous faire monter la salive en bouche avec le prologue.

Et quel prologue. On retrouve un corrompu de première, ce bon vieux Buzz Meeks. Il était l'homme de main d'Howard Hugues, son rabatteur à starlettes favori. Il avait, dans « Le Grand Nulle Part », pu réintégrer la police pour aider le LAPD à mener une enquête estampillée McCarthy. Mais son principal défaut, ce sont les femmes. Et pas n'importe lesquelles. Il ne trouve rien de mieux que de voler la belle Audrey à Mickey Cohen, le mafieux de service. Mais il ne s'arrête pas là, il insiste en lui volant une cargaison d'héroïne et une valise pleine de biftons. Alors l'épilogue... c'est une magnifique fusillade entre Buzz et les hommes de Mickey. Une scène d'anthologique qui se termine avec une dernière balle pour ce brave Buzz. Fermez le ban.

La suite est à l'aloi. En effet, Cohen, devenu imprudent suite à cette mésaventure, se retrouve en tôle. Les rues de Los Angeles sont-elles enfin débarrassées de sa racaille ? Non, il reste encore des flics en place ;o) A commencer par Bud White qui n'hésite jamais à se servir chez les mecs qu'il a serré. Surtout si ces derniers ont la fâcheuse habitude de tabasser leurs femmes. C'est son trait principal. Il ne supporte pas qu'on fasse du mal aux femmes. Cela lui vient du temps où il a assisté, impuissant, au meurtre de sa mère à coup de démonte-pneu par son propre père. Condamné, puis relâché pour bonne conduite, Bud n'a de cesse que de le rechercher pour lui faire la peau. Bud est un animal qui ne renâcle jamais pour mettre la main à la pâte quand il s'agit d'aller en première ligne sur les terrains minés des ruelles de Los Angeles.

Et puis, il y a Ed Exley. Il voudrait bien réussir sa carrière de flic mais il a de gros handicaps à surmonter. Son père, ex-flic également, est un promoteur richissime et cela en fait un fils à papa. Un père qui ne le respecte même pas car son frère, Thomas, lui, est un héros de la police qui est mort en opération. Même ses collègues ne le respectent pas et n'hésite pas à l'enfermer dans le magasin du poste alors qu'il essayait de s'interposer afin de les empêcher de lyncher des agresseurs de flics, c'est ce que la presse appellera le « Noël sanglant ». Sa carrière est son obsession et il ne va pas hésiter à dénoncer ses camarades pour le « Noël sanglant » du poste et, parmi eux, il y aura Bud et Jack Vincennes qui ne sont pas près de lui pardonner.

« Poubelle » Jack Vincennes, parlons-en, est le troisième flic qu'on va suivre dans ce roman. Jadis, il a commis une bavure, alors qu'il était déjà flic, camé et alcoolique, qui n'a jamais été avérée par les affaires internes. Depuis, il est devenu clean, mais il pense qu'un certain journaliste est au courant. Alors il est devenu leur informateur, et n'hésite jamais à les avertir quand il y a des bonnes images à prendre lors d'une descente, surtout si c'est une des stars hollywoodiennes qui risque d'en faire les frais. Un bien joli panier de crabes, comme seul Ellroy sait les composer. Bien sûr, on va retrouver Loew qui, une fois de plus, va poursuivre ses intrigues pour devenir enfin procureur de l'Etat, et qui va s'assurer des bons services de Jack.

Je ne l'ai encore jamais fait, mais ne peux m'empêcher de vous transcrire un extrait de dialogue cinglant propre à Ellroy. L'action se déroule lors d'une fête qui rassemble le gratin d'Hollywood et la crème de la mafia locale. Bien sûr, Jack ne peut s'empêcher de venir trainer par là, des fois qu'on veuille lui graisser la patte. Il vient accompagné de Karen, la sœur de la petite amie de Loew – ca créé des liens – et tombe sur Deuce Perkins qui a passé deux années à l'ombre pour avoir eu des relations, disons intimes, avec des chiens :
« (...) Jack alla jusqu'à la table du buffet.
- Joli lot, Vincennes, dit Deuce Perkins. Tu as les mêmes goûts que moi.
Un vanneur sec comme un coup de trique, chemise de cow-boy noire gansée de rose. Avec ses bottes, il arrivait presque à un mètre quatre-vingt-quinze ; les mains étaient énormes.
- Perkins, tes poules, elles reniflent la bouche d'incendie.
- Spade aimerait peut-être pas qu'tu m'causes comme tu l'fais. Pas avec l'enveloppe que t'as dans la poche. (...) »

On croisera bien d'autres vieilles connaissances qui vont passer dans ce roman haletant. Nous sommes en 1952 et il faudra résoudre un massacre ; celui de 3 femmes et 3 hommes abattus dans la chambre froide d'un snack. Il serait commode de coller l'accusation sur la tête de trois noirs ramassés après avoir commis un viol, mais les choses ne sont jamais aussi simples. Encore une descente dans les dessous de Los Angeles où nos trois flics vont se croiser jusqu'en 1958, avec toutes les rancœurs qui existent entre eux, et, comme d'habitude avec Ellroy, ne vont pas s'en sortir indemnes. Superbe.
Bobkill
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le 21 nov. 2010

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