Ce livre est un recueil. On peut toujours dire, dans ce genre de cas et c'est ce que fait le préfacier, que la variété des nouvelles interdit une analyse univoque. C'est une facilité critique, mais elle explique ma note: certaines nouvelles mériteraient un 9, d'autres moins que 7.
Dans la préface, le critique anglais que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam se fourvoie dans une analyse du fantastique post-Todorov que serait français, donc étranger à son insularité. Si la réflexion ne manque pas d'intérêt, elle ne concerne les textes de Dufour que par la bande, alors qu'il est finalement assez facile de les unir derrière quelques termes:
- le secret: de nombreuses nouvelles ont pour moteur d'écriture l'invention puis la mise au jour du secret d'une figure connue par ailleurs (Peter Pan, Poe, Alice, voire Cobain...)
- la perversion d'un modèle: la grande majorité des nouvelles s'inscrivent clairement dans la lignée d'autres textes, comme Je ne suis pas une légende, de légendes, comme la nouvelle éponyme reprenant Pygmalion ou Mater Clamarosum, très proche de Le lait de la mort de Yourcenar car buvant à la même source, voire de climats, comme le "Fêtes Galantes" Rhume des foins.
- Le fantastique ou l'anticipation comme instrument d'exploration du coeur et de la mémoire humains. Les deux servent à dépeindre le seniment maternel dans L'immaculée conception et Un soleil fauve sur l'oreiller (nouvelles antithétiques); dans d'autres, ce sont les enfants qui sauvent leurs parents (Le sourire cruel des trois petits cochons) ou leurs nuisent (Mémoires mortes); dans d'autres, c'est l'amour et la haine que l'anticipation vient nourrir (La liste..., l'amour au temps...).
- l'autobiographie: le cygne de Bukowski, Valaam, la lumière des elfes, et d'autres que j'ai cités contiennent des vrais morceaux de vie et tiennent peut-être le rôle qu'Aragon confie à la fiction: enfouir des secrets.
La parenté évidente entre ces catégories définit l'unité, non du recueil, mais de l'écriture de Dufour. J'ajoute que le thème de l'archive, au sens large d'objet dépositaire d'une expérience humaine dont la transmission est problématique (futile/essentielle/impossible) traverse toutes les nouvelles.
Mon évaluation tient à ce qu'une lecture superficielle suffirait à révéler: chaque nouvelle emprunte à quelqu'un (auteur imité) ou à une histoire existante une partie de sa matière. L'auteur essaye un costume, puis passe à un autre. Cette virtuosité est plaisante, mais parfois vaine (franchement, une histoire dans l'univers de Troy...). Sur cette impression permanente de pastiche se détachent quelques réussites qui sont à mon avis les nouvelles les plus longues, celles qui ne se limitent pas à la formulation d'une bonne idée: L'immaculée conception, la liste des souffrances, Mémoires mortes.
Toutefois, pour qui s'intéresse au reste de l'œuvre de l'écrivain, ces nouvelles sont précieuses comme des esquisses. Le travail du dessin , plus rudimentaire, montre mieux ses trucs. La postface de Dufour et l'entretien qui le suit sont aussi tout à fait importants.
Ces nouvelles sont donc de jolies choses, preuves du grand talent de l'auteur, apportant des plaisirs variés, mais de petites choses.
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