Sincérité : c'est le minimum pour un livre du genre de L'âge d'homme - le genre confession - et ça semble un peu dérisoire à une époque où on écrit trois fois par jour, sur Facebook ou Instagram, des choses sincères. Sauf que la sincérité de Michel Leiris garde un parfum très particulier. Jacques Brenner, écrivain oublié, a écrit : « le courage de Michel-Leiris n'est pas de faire l'aveu de grands vices : il avoue, et c'est plus dur, de petites faiblesses ». Y'a de ça. Y'a aussi, voire surtout, le style inimitable de Leiris – à mi-chemin de la dentelle et des poubelles.
Leiris parle d’une chanteuse mélancolique qui semble « avoir reçu des coups de bec d’oiseaux dans la gorge » ; il parle du « goût de neige du champagne », de la « saveur tranchante du whisky » et de l’odeur de « prépuce mal lavé » des agents de police.
Leiris voulait prendre un maximum de risques. Il en a fait un peu beaucoup avec ça : « De la littérature considérée comme une tauromachie » et blablabla. En vérité, il n'a quand même pas suçoté une seringue au sida ou crié « Allah est un fils de pignouf » dans les rues chaudes de Vaulx-en-Velin. L'idée était de prendre autant de risques que possible, certes, mais en écrivant un bouquin : ça limite quand même les dangers. Toujours est-il qu'il a systématiquement choisi d'écrire ses faiblesses et de dissimuler ses forces – ça aurait fait de lui un fou en 2018.
Et tout ça pour qu'on dise finalement que son projet sincérité a échoué et qu'en vérité, son exercice de transparence n'est qu'une frime de plus dans l'histoire de la littérature qui, pourtant, ne manque pas de frimeurs. Ecrire, ça sert à faire le beau – à tous les sens du terme – on n'y coupe pas. Mais j'en connais peu qui pourraient écrire sur leur page Facebook comme Leiris chez Gallimard : « quelques gestes me sont familiers : pencher la tête légèrement de côté et quand je suis seul : me gratter la région anale ».