J'aime pas trop Bégaudeau, enfin son personnage public (je ne connais pas le Monsieur personnellement), que je trouve un peu poseur et passablement irritant.
De fait j'étais pas tellement emballée par ce livre, et puis chez mon libraire ils m'ont tous dit que c'était super, et puis Nelly Kapriélian des Inrock' n'a pas aimé, ce qui est toujours bon signe.
Alors je me suis lancée, moins de 100 pages c'est pas insurmontable, et grand bien m'en a pris car il s'agit selon moi de l'un des grands romans de cette (excellente) rentrée littéraire 2023.
Difficile de le résumer cependant...
Ou en fait si, c'est très simple, c'est l'histoire de Jeanne et Jacques. Toute leur vie. En 100 pages.
C'est une histoire d'amour, ou plutôt l'histoire d'un couple. Parce que si l'amour existe sans effort, le couple se construit en convoquant d'autres sentiments.
L'auteur entend dépasser les clichés du genre pour mettre en lumière la beauté de cette relation qui se construit sur le quotidien, les manies, celles qui agacent comme celles qui font sourire, avec lesquelles, quoiqu'il en soit, on décide de composer.
"Dans le même genre, Jacques ne comprendra jamais qu'elle préfère entamer le pain frais plutôt que de finir le pain d'hier. Et pas la peine de venir nous raconter qu'elle en fera du pain perdu, elle n'en fait jamais. Ce que Jeanne peut éventuellement reconnaitre, mais pour aussitôt observer qu'à ce compte-là ils ne mangeront jamais de pain frais. Si on mange le pain du jour le lendemain du jour, on mange toujours du pain d'hier. Ce à quoi Jacques objecte que ben voyons."
Le livre m'évoque la chanson de Gainsbourg:
"Mieux vaut n'penser à rien que n'pas penser du tout.
Rien c'est déjà, rien c'est déjà beaucoup.
On se souvient de rien, puisqu'on oublie tout.
Rien c'est bien mieux, rien c'est bien mieux que tout."
Et l'auteur précisément, écrit en mettant ces petits rien bout à bout. Le récit coule un peu comme la vie, plus vite qu'on ne le pense.
Les non évènements s'enchainent sans lien particulier. Jeanne et Jacques se rencontrent, sortent, se marient, posent de la moquette vert d'eau au sol de leur premier appartement... En 84 ils s'offrent un lave-vaisselle. Ils achètent une voiture et font un enfant. Drucker à la télé, Cocciante à la radio. Le chien à sortir, et à chaque jour son aurore...
C'est déroutant, parfois, ce style très dépouillé, presque lapidaire.
On se demande où on s'en va comme ça, ce qu'on va faire de ces anecdotes empilées les unes sur les autres.
Et en réalité, ce n'est qu'en refermant le livre que l'on réalise l'ampleur et la beauté du geste littéraire parce qu'alors, et sur ces dernières pages, Jeanne et Jacques prennent corps, leur amour prend vie à la fois soudainement, et pourtant comme une évidence, comme si on avait toujours su que oui c'est bien ça, l'amour.
C'est un livre d'une beauté sobre et extrêmement touchante. Et c'est précisément cette pudeur des sentiments qui parvient à nous tirer les larmes sur une des phrase les plus banales au monde:
"Elle était sa compagne et lui son compagnon."