Pays outragé, la Syrie est le terrain de toutes les horreurs depuis une décennie. Anouar Benmalek nous plonge avec L’amour au temps des scélérats dans la fureur et la violence de ce pays. Il nous offre un roman complexe et ambitieux ou amour et haine s’entremêlent.
Alors que Kurdes, combattants de Daech, soldats américains, milices et minorités religieuses se déchirent, un étrange candidat au djihad se pressente. Il s’appelle Tammouz et semble capable d’envoûter les chats. Il suit la piste de la femme qu’il a aimé et possède d’étranges pouvoirs. Sur sa route, il croise Zayélé, une yézidis, Adam, un soldat américain qui a rejoint les forces kurdes mais aussi Houda et Yassir, un couple d’amants en fuite. Tous tentent de survivre dans un pays où la mort est omniprésente. Des camps de rééducation de Daech pour les enfants yézidis aux rues de Damas en passant par les villages du désert syrien, nous traversons le pays et son chaos.
La devise de Moussab al-Firansi est d’une simplicité minérale : dans le doute, mieux vaut liquider un vrai croyant qu’épargner un ennemi de Dieu – le croyant lésé y gagne d’une certaine manière puisqu’il accède plus rapidement au paradis !
Chaque chapitre se concentre sur un personnage. Progressivement, les différentes intrigues se tissent et, loin de se livrer à un catalogues des horreurs perpétrées, le récit dresse un portrait vibrant d’un pays devenu fou. Malgré les différences d’origines ou de situations de chacun des personnages, ce qui les relit c’est l’amour. Il s’agit bien là du grand thème de ce roman. L’amour d’un couple, l’amour d’une mère ou l’amour d’un frère deviennent des raisons de lutter pour survivre. Malgré le tumulte ambiant, l’amour demeure et maintient les êtres en vie.
Avant, j’étais désespéré, je ne pensais qu’à fuir ce pays de fous. Pourtant, dès qu’on s’est connus, Houda et moi, on a choisi de ne voir que la beauté du monde. Ça paraît incroyable dans cet enfer, mais je t’assure que c’était facile avec Houda, et pas seulement parce qu’elle est belle, qu’elle rit tout le temps, qu’elle chante aussi, et c’est merveilleux comme du cristal quand elle chante, qu’il lui arrive d’être cruelle et, ah mon Dieu ! si câline… Même Dieu n’aurait pu inventer sa gentillesse dans Son paradis. Quand je pense à elle, j’ai l’impression qu’un oiseau froufroute tendrement dans mon cœur…
La barbarie est omniprésente et nous avançons avec effroi dans le récit. L’auteur manie néanmoins un humour salutaire pour mieux montrer la bêtise des djihadistes. Le surnaturel offre au récit une ampleur plus universelle et de belles réflexions sur l’amour ou le violence. Si la lecture est éprouvante, le changement régulier de ton la rend plus fluide. J’ai été impressionnée par l’ampleur de ce roman, par la capacité de son auteur à parler de tant d’aspects du conflit tout en gardant une cohérence narrative. En plus d’être un roman d’amour c’est un roman d’aventure. Les péripéties sont nombreuses, le rythme soutenu et le lecteur est happé par l’intrigue complexe. Un grand souffle narratif traverse le roman.
J’ai été séduite par la plume de Anouar Benmalek. Tantôt lyrique, tantôt facétieuse, son écriture se fait changeante aux grès des situations. L’ensemble est d’une grande intensité. L’auteur porte un regard lucide sur la Syrie et sur les hommes. Il accorde une grande place à l’art. La musique comme la littérature guident ses personnages.
Encore un magnifique roman portée par la maison d’édition Emmanuelle Collas.