Vous vous rappelez l'histoire d'Adam et Eve ? Comment ils vécurent, comment ils sont morts... et ce qu'il advint de leur progéniture... L'écrivain américain Brian Evenson a imaginé ce qui se passera à l'autre bout du prisme de notre histoire: le dernier homme. Appelons-le X parce que sa mémoire-système encombrée devient confuse. Il ne sait plus comment il s'appelle. Avant, les "individus" se dupliquaient par paire afin de pérenniser l'"espèce", mais faute de "matériau" pour en reconstituer de nouveaux, chargés de toute la mémoire de leurs prédécesseurs, X - ou quel que soit son nom - se retrouve seul. Interrogeant l'ordinateur, il apprend qu'il reste un de ces ancêtres cryogénisé dans l'"antre", le dernier à pouvoir être qualifié de "personne" parce que entièrement naturel... et organique.
Il est seul avec un terminal informatique qui yoyote un peu, lui aussi. Le HAL de Kubrick finissait par désobéir, Maman dans ALIEN dirigeait les membres du Nostromo vers leur Armageddon, sans parler des machines assassines de TERMINATOR. Dans L'ANTRE de Brian Evenson l'unique ordianteur qui reste ne vaut pas mieux que l'individu qu'elle est chargée de servir.
Tout a une fin, rien ne dure.
L'ANTRE fait une centaine de pages, et saura parler même à celles et ceux qui, comme moi, coincent avec la littérature de SF. C'est que Brian Evenson est un grand écrivain tout court. De lui j'ai déjà pu lire LA CONFRERIE DES MUTILES et surtout INVERSION (à chercher en occasion les amis, j'en ai bien peur), infernal bouquin qui vous plonge au coeur de la schizophrénie la plus absolue.
Entre X qui ne sait plus qui il est et le terminal qui ne comprend plus rien (passage "presque" drôle où ce dernier réclame pour une requête spéciale un mot de passe à X, qui ne sait plus lequel de ses ancêtres a pu le créer, et à qui le demander), l'avenir s'annonce mal.
X, le dernier "individu" a l'idée d'aller réveiller Horak, la dernière "personne".
Impression rare de découvrir un "classique" instantané. A ranger à côté de LA METAMORPHOSE de Kafka, de FLATLAND d'Edwin Abbott, ou DES FLEURS POUR ALGERNON de Daniel Keyes, rien que ça.
Brian Evenson est un des écrivains américains les plus adulés par ses pairs (comme David Foster Wallace ou George Saunders), il est aussi un intellectuel parmi les plus détestés des conservateurs américains, un de ceux que les Créationnistes aimeraient voir brûler sur un bûcher un jour.
En attendant, il continue à égrener dans ses livres une vision froide et sarcastique de notre humanité qui, à moi, me parle énormément.
Un Cronenberg en grande forme saurait tirer quelque chose de dingue de cet O.L.N.I. (Objet Littéraire...)