Stoïcisme + Christianisme = amour

Un ouvrage agréable à lire, une bonne vulgarisation de la philosophie de Sénèque et de la prédication de Paul. La première partie de l'ouvrage est plutôt biographique, la seconde portée sur la doctrine respective des deux hommes du Ier siècle ap. J.-C. La doctrine et la vie ne sont cependant jamais séparées par Joël Schmidt, dans le souci de montrer que la philosophie et la religion sont des "manières de vivre" comme le dit Pierre Hadot qui a influencé l'auteur.

Par contre, L'Apôtre et le Philosophe ne doit pas être lu comme un ouvrage d'érudition. Même si on y trouve nombre de textes cités de Sénèque, de Paul mais aussi de Lactance et saint Jérôme, ainsi que la correspondance apocryphe entre Sénèque et Paul (que l'auteur tient pour probable), les sources ne sont presque jamais mentionnées. Il ne faut pas s'attendre à un livre de critique philologique, ni à une rigueur historique exacerbée. Joël Schmidt pense que Sénèque et Paul se sont presque certainement connus, voire se sont liés d'amitié (d'où le sous-titre de l'ouvrage), alors que les preuves de cela sont faibles. Il est vrai néanmoins que le frère de Sénèque, Gallion, a acquitté Paul lors d'un procès intenté pour trouble et agitation.

Cependant, Joël Schmidt a toujours l'honnêteté de mentionner les contre-arguments à la thèse historique qu'il adopte. Il refuse le "syncrétisme réducteur" propre selon lui à des apologètes catholiques du XIXe siècle qui ont fait de Sénèque un philosophe converti secrètement au christianisme. Schmidt reste donc prudent dans ses assertions : il relève un grand nombre d'analogies, parfois textuelles, entre la pensée du stoïcien et celle du chrétien, mais il distingue l'esprit "spirituel" de Sénèque et la foi "religieuse" de Paul.

Je peux dire que je vois Sénèque sous un jour différent après lecture de l'ouvrage. En effet, sans aller jusqu'à admettre avec l'auteur que Sénèque aurait été initié aux mystères égyptiens lors de son séjour dans le pays des Pharaons, il est frappant de lire les textes à consonance mystique du philosophe, inspirés aussi par le platonisme selon Schmidt. Il y a en effet chez le philosophe romain des textes qui décrivent l'immortalité de l'âme et la vie qu'elle aura hors de ce monde, dans les contrées célestes. De même, Sénèque est un adepte de la cosmologie stoïcienne et de son apocalypse, qui décrit la fin du monde dans un embrasement général et sa régénération à venir. Enfin, il me semble clair que les philosophes de cette époque post-augustéenne ne croient plus en les dieux du paganisme, mais se rallient à une sorte de monothéisme rationaliste dans lequel Jupiter ou Zeus est l'unique dieu.

Par conséquent, même si la position politique et la culture de Sénèque l'empêchent sans doute d'adhérer au christianisme en tant que foi, pas que franchiront des philosophes comme Boèce bien après lui, sa théologie prépare tout de même le terrain à la généralisation du monothéisme chrétien, héritier de celui des Juifs. Il n'est donc pas étonnant que le stoïcisme soit devenu une référence importante des textes chrétiens ultérieurs, quoique païen à l'origine. Pour terminer, comment ne pas évoquer la tristesse que nous inspire la fin de Sénèque, rapportée par Tacite, condamné au suicide par un Néron qui ne le supporte plus et s'en méfie, et celle de Paul, décapité moins de deux ans après par le même Néron qui persécute les premiers chrétiens.