Avertissement : cette critique est le cinquième épisode d’une étude sur Que serai-je sans toi ? de Guillaume Musso. Pour plus de clarté sur le projet :
http://www.senscritique.com/liste/Musso_parce_qu_il_le_vaut_bien/500931
I. Un projet d’envergure.
D. Une esthétique du topos
Le confort du lecteur est un souci permanent de l’entreprise de M. Musso. Or, si la surprise du rebondissement apporte du plaisir, les thèmes et les réflexions abordées ne doivent quant à eux pas brusquer les attentes.
Voilà sans doute la raison pour laquelle les sentiers battus se transforment en GR au fil des pages, et non par manque d’inspiration de la part de leur auteur.
On abordera pêle-mêle la thématique de l’affrontement…
« Alors, comme régénéré, Martin leva la coupe vers le ciel. Philosophe (1), il se dit que la valeur d’un homme se jugeait aussi à celle de ses ennemis.
Il avait perdu la première manche, mais la combat ne faisait que commencer.(2) » (p. 79)
(1) Oui, Martin a souvent du mal à comprendre, mais il est philosophe. Peut-être est-il le premier disciple de Socrate qui lui a appris qu’il ne sait qu’une chose, c’est qu’il ne sait rien.
(2) On appréciera à sa juste valeur la référence au Général.
…celle du désir,
« Elle (1) ferma les yeux quelques secondes, lutta pour faire refluer son désir naissant. Elle savait que les sentiments étaient souvent plus destructeurs et dangereux qu’une balle de 9 mm ou que la lame tranchante d’un sabre. »(2) (p. 108)
(1) Il s’agit de Mademoiselle Ho, l’agent coréenne aussi belle que dangereuse. On ne sait pas trop pourquoi elle tombe amoureuse de Martin, probablement pour prouver à la lectrice que c’est vraiment un Prince des villes trop handsome.
(2) Dangereuse, mais pas invincible, notre beauté asiatique…
… ou de la gratitude :
« A présent, Svetlana (1) a des larmes dans les yeux, de celles qui lavent, qui font du bien et raniment un regard que l’on croyait éteint pour toujours. » (p. 132)
(1) C’est la prostituée que Martin paie pour ne pas coucher avec elle, souvenez-vous.
En matière de cliché, Archibald décroche la timbale. Contraint à ne pas voir sa fille à qui l’on a fait croire qu’il était mort, (parce qu’elle préfère probablement cette version à la vérité, qui en gros aurait été : Ton père a fait de la prison parce que dans un moment de douleur tragique il a tiré - mais par accident - sur un médecin le jour où ta mère te donnait naissance, voulant à tout prix la sauver, quel salaud quand même) il met en place des stratégies pour la voir à son insu. La stratégie étant l’apanage des auteurs, il est, à l’aune de M. Musso lui-même, capable de définir ce qui la distraira le plus possible, et quels seront ses besoins essentiels. Déjà, l’argent, puisqu’il efface discrètement ses dettes. Ensuite, la justice, puisqu’il arrange son compte à un amant grossier. Puis enfin, la romance et la poésie.
« Pour ne pas repartir bredouille sans avoir échangé quelques mots avec elle, il n’avait trouvé qu’un moyen : le travestissement.
23 décembre 1990, ce chauffeur de taxi qui la conduit à l’aéroport : c’est lui.(1)
23 décembre 1991, ce vieux monsieur excentrique avec qui elle reste coincée dans l’ascenseur d’un centre commercial : c’est lui. […]
23 décembre 1992, ce fleuriste qui vient lui livrer mille et une rose(2) de la part d’un admirateur secret : encore lui.
Lui, lui, lui… présent mais incognito (3) à chacun de ses anniversaires qui sont autant de réminiscences funestes (4) pour lui. » (p. 158)
(1) Un bien beau cadeau d’anniversaire, quand on y pense : un chauffeur de taxi dans le taxi qu’elle a commandé pour aller à l’aéroport.
(2) On peine à imaginer la taille de bouquet. Et quand elles fanent, ce doit être un sacré travail que de s’en débarrasser. Mais la romance ne s’embarrasse jamais de l’après.
(3) La dichotomie, ou l’antithèse sont élevées au rang de pratique athlétique par l’auteur. Nous y reviendrons.
(4) Parce qu’il ne faut pas oublier l’équation fondamentale des origines : naissance de Gabrielle = mort de maman (mais en fait non, juste coma, mais pour que les personnages se punissent au début, c’est mieux. Etrangement ils savent tous qu’elle est dans le coma, mais ne le mentionnent jamais).
Le lieu commun, c’est aussi cette petite formule familière, entendue mille fois et qui rassure le lecteur qui se découvre une profonde complicité avec l’auteur : ils partagent la même médiocrité, pourraient sans difficulté discuter au PMU du coin de la rue.
« En trois minutes de confrontation, il en avait plus appris sur lui qu’en près de quatre ans d’enquête. » (p. 74)
« Il n’avait pas vu Gabrielle depuis treize ans, mais c’était comme s’il l’avait quittée hier. » (p. 167)
« Il eut une moue dubitative. Elle continua :
- A présent, je suis prête. L’amour, tu vois, c’est comme l’oxygène, si on en manque trop longtemps on finit par en mourir. Tu m’as tellement aimée en quelques mois que j’ai eu des réserves d’amour pendant des années. Grâce à elles, j’ai pu affronter beaucoup de choses, mais j’arrive au bout de mes réserves, Martin » (p. 198) : L’insuffisance respiratoire comme métaphore filée de l’amour, un procédé littéraire à couper le souffle.
De ce point de vue, et à la lumière du talent de M. Musso, on ne peut que lui conseiller de se lancer dans la politique : son rapport au peuple est fusionnel : par lui, avec lui et en lui. Succès garanti.
Episode suivant : une littérature didactique :
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L'intégralité de la saga : http://www.senscritique.com/liste/Musso_parce_qu_il_le_vaut_bien/500931