Ils sont partis de bon matin, Francis Martin, le spécialiste sylvestre, Directeur de recherche à l’INRAE de Nancy, et Florian Gadenne, l’illustrateur naturaliste. Ils sont partis de bon matin, à la recherche du Grand Chêne… Donnons-leur la parole, ils en parlent si bien : « Sur les pentes d’un vallon isolé, il nous attendait. Il était là, dressé, monolithe sombre, immobile, accumulant du bois, cerne après cerne. […] Quelle puissance ! Depuis la nuit des temps, les arbres transmutent les sels amers et l’air léger en potion sucrées au sein de leurs feuilles frémissantes, léchant la lumière, caressées par les vents […] Défiant la gravité, ils se déploient avec majesté vers les nuages et les profondeurs telluriques, tranchant le roc et brassant l’air ». Éblouis par tant de merveilles, Francis et Florian vont vous conter son histoire et vous faire découvrir son univers insoupçonné…

Le chêne, « Il symbolise la pérennité, l’endurance et la loyauté, des vertus immuables sculptées dans son écorce par le fleuve du temps. Dans les sociétés anciennes comme dans les plus modernes, le chêne a inspiré les artisans, les écrivains et les penseurs, leur rappelant la sérénité qui réside dans les profondeurs de la forêt. Ses racines, ancrées profondément dans le sol, sont un rappel poignant de l’importance de demeurer fidèle à ses origines, même lorsqu’on aspire à toucher les étoiles du ciel. »

Et pour décrire le rôle fondamental de ses fruits, les glands, au lieu d’employer le ton docte et magistral du savant, sûr de sa science, Francis va vous dévoiler la vie de la foret : « À l’automne, une généreuse pluie de glands tombe des vieux semenciers, des centaines de milliers de fruits tapissent alors le sol des sous-bois. C’est un incroyable festin pour les animaux "balanophages", comme les surmulots, les écureuils, les sangliers et les geais, qui se nourrissent des graines du chêne. Excités, ils font bombance avant le long hiver. Puis les plus avisés mettent en réserve des centaines de balanes dans leurs caches souterraines afin de nourrir leurs portées lors des frimas. Ceux qui sont épargnés par les dents gourmandes, oubliés dans l’humus ou au cœur des ronciers par ces jardiniers accidentels, germeront au printemps. Semis, ils deviendront plantules, puis arbres s’ils échappent à la dent vorace du chevreuil. »

De même, nous faisons connaissance avec « l’Entente Cordiale », la mycorhize, « chimère plante-champignon », cette association symbiotique entre les champignons et les racines des plantes. À travers l’oculaire du microscope on distingue parfaitement le manchon de filaments fongiques enveloppant la radicelle « C’est là, à l’interface racine/champignon, que se déroule l’échange symbiotique des éléments nutritifs – glucose et acides aminés contre eau et sels minéraux – tel un marché biologique équitable […] Amanites, bolets, chanterelles, cortinaires, lactaires, russules ou truffes se bousculent et s’accrochent aux radicelles du chêne, hôte généreux, pourvoyeur des solutions sucrées nécessaires à leur survie. »

Bon, d’accord, les chênes aiment les champignons (Pas tous, il y a l’Armillaire, un redoutable tueur, le Polypore, un mangeur de bois…) ! Mais ils ne sont pas les seuls à les aimer, et si dans mon coin (Sud-Ouest) le Cèpe (de Bordeaux) s’arrache à prix d’or, le moment venu, on se laissera vite attendrir par une fricassée de girolles à l’ail que l’auteur ne semble pas mépriser : « La girolle ou chanterelle commune est l’un des champignons comestibles les plus prisés. Son chapeau jaune d’œuf, parfois teinté d’orangé, dégage une noble élégance ; de quelques centimètres de diamètre, il se creuse en calice pour former un léger entonnoir. […] Sa chair dense, croquante et savoureuse exhale une douce fragrance fruitée, semblable à celle de l’abricot, et une saveur délicatement acidulée… » de quoi mettre l’eau à la bouche (pour ma part, c’est mon tablier de cuistot qui trépigne !).

Notre chêne abrite également d’étranges individus – mi-figue, mi-raisin – ni végétaux, ni champignons, ils sont les deux à la fois. Ce sont des êtres chimériques ! Qu’est-ce ? « Parmélie des murailles, usnée barbue ou évernie du chêne, des dizaines de lichens ont trouvé refuge sur l’écorce craquelée. »

Et puis voici venus les locataires emplumés, pour n’en citer que quelques-uns : le Pic épeiche qui picasse et pleupleute, sondant l’écorce à la recherche de larves xylophages. Les mésanges bleues ou charbonnières qui zinzinulent à la recherche de chenilles, lichens et graines. Le Geai qui garrule, cacarde et jase en cascade en quête de glands qu’il thésaurise pour l’hiver et le printemps assurant ainsi des semis involontaires. La Tourterelle des bois qui roucoule et murmure picorant des graines de fumeterre et de mouron et autres Pigeons ramiers (ou Palombes, vénérées des chasseurs du Sud-Ouest !).

Le tableau ne serait pas complet si on oubliait la Souris des bois qui se goinfre de glands à l’instar de l’agile Écureuil qui dissémine les graines du colosse un peu partout dans le voisinage. Et puis, « juste avant l’aube, une silhouette gracile se détache à l’orée de la chênaie. Une tête délicatement couronnée de petits stylets ramifiés s’étire vers les branches qui s’étendent en bordure du pâquis. Du museau court s’étire une langue gourmande qui goûte précautionneusement les jeunes feuilles, tendres et juteuses, à peine déroulées. Le jeune brocard prend bien soin de ne pas brouter les vieilles feuilles, indigestes, bourrées de tanin toxiques. »

En effet, pas fou le Chevreuil. Une morsure d’un chevreuil affamé ou d’un insecte gourmand et la feuille blessée laisse échapper un flux d’éthylène (C2H4) qui déclenche en quelques minutes « une inéluctable cascades d’évènements moléculaires et chimiques, condamnant les agresseurs à une formidable indigestion. »

Enfin, voilà l’innombrable bataillon des insectes qui colonisent le géant, nous ne pouvons les citer tous… De l’Agrile du chêne dont la larve – mangeuse de bois – pénètre dans l’épaisseur de l’écorce et dont la nymphe fera le régal des pics, à la Feuille morte du chêne, papillon, champion du camouflage, dont les chenilles dévorent frénétiquement les jeunes pousses tendres, en passant par le grand Capricorne dont les larves creuseront des galeries jusque dans le bois le plus dur et autres Hannetons qui défolient le houppier après que, bébés, ils se soient rassasiés des racines. Le géant des forêts n’a pas que des amis, comme l’Ichneumon tortrix (sorte de guêpe) qui s’en prend aux chenilles de la tordeuse du chêne, brouteuses de bourgeons floraux et feuilles tendres, ou comme le Calosome sycophante (grand coléoptère) qui fait bombance de chenilles processionnaires, bombyx disparate, nonne et autres cul-bruns…

Retenez votre souffle, dans la nuit brune, une sombre créature se glisse entre les branches, elle incarne l’esprit de la nuit impénétrable, l’élégance éthérée des chasseurs de l’ombre. Voici le Vespertilion de Bechstein, une chauve-souris d’une discrétion légendaire : « Sa fourrure sombre se fond dans l’ombre des frondaisons, et ses ailes déployées, comme des voiles gonflées du parfum des sous-bois, portent en elles l’essence des ténèbres. »


On arrêtera là notre vagabondage au fil des pages de ce livre merveilleux, là où la vie se poursuit, là où tout un univers collabore à la pérennisation du cycle du vivant. Nous ne parlerons ni de pollution, ni de dérèglement climatique, ni d’incendies de forêts, ni de déforestation, ni de tout ce qui fâche. L’arbre qui gît offre ses atomes à l’arbre qui naît.

Comme Victor Hugo (et Francis Martin), pour terminer, je voudrais offrir aux arbres, ces vers en hommage :

« Forêt ! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,

C’est sous votre branchage auguste et solitaire,

Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,

Et que je veux dormir quand je m’endormirai. »


« Aux arbres » Les contemplations, 1856.


COUP DE CŒUR !


PS : Je recommande très chaudement ce livre aux amoureux de la nature, de la poésie et des belles illustrations : Florian Gadenne a fait merveille en décorant chaque page de dessins précis et harmonieux qui sont un régal pour les yeux et le cœur !


Philou33
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le 19 avr. 2025

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