Le continent catholique remplacé par des atolls dispersés ?

Curieux objet que cet ouvrage de Jerole Fourquet qui essaie de retracer, chiffres, statistiques et cartes à l'appui, un portrait de la France contemporaine pour en identifier les principales caractéristiques.

Premier constat que l'auteur souhaite poser: le recul du catholicisme comme élément structurant central de la société française ; que ce soit à travers la baisse du nombre de messalisant (catholiques participant à la messe tous les dimanches au minimum), le recul de valeurs associées au catholicisme (opinions sur l'avortement, le mariage gay, mais aussi de manière plus novatrice, considérations sur les progrès de l'incinération, du tatouage ou de la cause du bien-être animal) ou des symboles de son assise (recul des prénoms Marie et Jean par exemple), l'auteur pose de façon assez intéressante le recul de la structuration de la vie quotidienne par les valeurs associées au catholicisme. Reste que si les valeurs catholiques peuvent être explicatives d'un certain nombre de positionnement de sujets de société, il y a loin avant d'affirmer que la disparition de ces valeurs serait seulement à associer au recul du catholicisme.
L'ouvrage de Fourquet démontre néanmoins que ces valeurs associées au catholicisme sont en recul et surnagent avec le "stock" de personnes plus âgées mais seront probablement remises en cause dans les années à venir du fait de la démographie.

Deuxième constat fait par l'auteur, ma diversification de ma société. La France semble marquée par une émergence de prénoms arabo-musulmans et des interrogations sur la manière dont la population immigrée de ces catégories arrive ou non à s'intégrer en soulignant les facteurs encourageants et ceux qui le sont moins.
De manière générale, l'auteur se penche sur le phénomène de dislocation de l'uniformité sociale, attestée notamment par une dispersion toujours croissante des prénoms donnés aux enfants. Ou qui se refléterait dans le recul des médias traditionnels papiers ou télévisuels et l'émergence des theories de type complotistes.

Troisième centre d'attention de l'auteur, un retour historique sur les grandes fractures expliquant les évolutions politiques de la France. 1983, avec le tournant de la rigueur, mais surtout la marche des beurs, et la première manifestation forte d'une présence de populations immigrées qui aurait été à l'origine du vote FN de 1984. 2005 avec le non à la constitution européenne, première secousse venant matérialiser la remise en cause du clivage droite gauche au profit d'une France qui réussit et d'une France qui se replie, faisant sienne les thèses de Christophe Guilliuy. France qui se replie principalement captée par le FN/RN. La même année toujours la crise des banlieues. Et enfin 2015, avec une intensité de mobilisation à la suite des attentats contre Charlie Hebdo qui là encore signalait une mobilisation dans les "gagnants" de la situation actuelle de la France et bien moindre chez les "perdants".

Enfin le quatrième grand item vient s'intéresser au séisme politique de 2017, et permet de s'intéresser aux électorats Fillon (archipel des retraités gagnants de la mondialisation, favorables aux réformes radicales du marché du travail pour toucher leurs retraites et comparés à des actionnaires visant à prémunir leurs dividendes), mais aussi Macron, présenté comme le camp du OUI au traité constitutionnel européen et réunissant bourgeoisie et élites de gauche et de droite, Melenchon, porté par les immigrés et les électeurs de gauche traditionnels, et Le Pen, largement en tête dans les territoires "déclassés".

L'ouvrage, dense, se lit très bien. Un bémol est qu'il s'intéresse quand même assez lointainement aux questions économiques et s'appuie sur des références (Guilluy) en matière d'analyse des territoires qui pour être intéressantes ne font pas l'unanimité (à titre personnel je trouve les ouvrages de Davezies, moins médiatisés, plus précis et moins ancrés dans un schéma fleurant bon le Lasch à la française). Autre bémol, la reprise assez régulière de thématiques de France qui ne se parleraient ni ne se comprendraient plus (petite phrase de Gérard Collomb à l'appui) qui sont teintées d'une vision pessimiste que l'auteur pose presque comme une évidence, sans la démontrer. Ce qui donne à l'ouvrage un aspect décliniste latent mais occasionnellement renouvelé qui dépareille avec un propos globalement beaucoup plus neutre et plus en adéquation avec la démonstration que l'auteur vise, à savoir dresser un tableau réactualisé de la France contemporaine.