Couper un fil invisible

Voici un livre habile, qui happe comme une saga romanesque… De l’Algérie de la fin des années 50 à la France d’aujourd’hui, on suit l’histoire d’une famille sur trois générations. Ali, Hamid, Naïma, ont chacun un regard différent : sur la famille, sur la guerre d’indépendance, sur leur place en France. Comme si on y était, on voit l’environnement géopolitique de chacun, et on mesure leurs failles, leurs blocages. Le texte écrit au présent renforce l’identification aux personnages, et leurs incompréhensions, leurs silences sont parfois simplement décrits, sans chercher à être expliqués. Chacun a sa propre façon de construire sa vie, besoin ou pas de garder des racines algériennes, capable ou pas de parler, d’expliquer, de transmettre…
Tout au long de la trame historique extrêmement bien documentée, on se rappelle un peu écœuré que cette guerre d’Algérie était bien sûr une sale guerre. Pour ceux qui y étaient, français ou algériens, être classé parmi les bons ou les méchants a relevé parfois plus d’une circonstance, d’une interprétation, ou relève de l’époque depuis laquelle on regarde… Sauf que le statut de harki a été lourd à porter depuis le départ, et pèse toujours deux générations plus tard.
Il y a beaucoup de pudeur et de délicatesse, une capacité à se mettre à la place de chaque protagoniste sans jugement ni parti-pris, qui donnent un texte profond qui sonne juste, au goût doux-amer, sans céder à la Tristesse ni à la Colère… Finalement, c’est un livre très actuel, qui parle de la difficulté à s’affranchir de son héritage familial et à se détacher d’un fonctionnement social communautaire, et qui propose, à travers une fresque en boucle, une réflexion sur l’identité et la liberté d’être.