Alexis Jenni a choisi d'aborder l'art français de la guerre à travers la narration romancée plutôt qu'au travers d'un prisme historique, qui aurait été plus factuel et austère mais peut-être aussi intéressant. Bien lui en a pris toutefois car sa plume se révèle par moments délicieuse, d'une finesse agréable, mais de celle qui n'oublie pas le fond et ne se liquéfie pas dans une rhétorique de façade. Ainsi cette plume brille lors des moments des retranscription des scènes "dégueulasses", tendues, suintant la sueur du soldat dans la moiteur d'une jungle d'Indochine, inspirant le dégoût lors d'une séquence au marché suivi d'une préparation de repas avec des ingrédients particulièrement peu ragoutant. L'écriture du romancier lyonnais fait aussi merveille lorsqu'il s'agit de dresser l'héritage, les conséquences des guerres mondiales, d'Indochine et d'Algérie ; lors de considérations voir dissertations sur la notion (inexistante pour lui en l'occurrence) de "race", fondée principalement sur la ressemblance/dissemblance, indéfinissable et pourtant tellement reconnaissable implicitement pour l'homme.

Le bât blesse quelque peu concernant les passages retranscrivant les aventures amoureuses, les rencontres, les moments d'euphorie ; ici Alexis Jenni semble moins inspiré et se démarque moins ; on a l'impression que son style peine à s'extraire des sujets précédents pour s'octroyer une part de lumière dans la douceur d'un sourire féminin, dans la sensualité d'une caresse, dans la simplicité d'une rencontre.
L'autre reproche viendra lui de cette technique de répétition dont a usé l'auteur, pas forcément des copié-collé (on voit d'ailleurs que c'est volontaire) mais plutôt des idées ressassées quelques lignes plus loin après avoir été brillamment mises en valeur auparavant, comme si l'auteur avait eu peur qu'elles nous échappent, que leur sens se perde dans le foisonnement des pages et des itérations du narrateur et de Victor Salagnon. On s'en serait donc passé et cela aurait allégé la lecture.

Quoiqu'il en soit, alors que l'on est souvent déçu par les livres qui se sont vus attribués le Goncourt, il faut reconnaitre que Jenni s'en sort bien avec ce premier livre et appose une patte différente (mais pas encore affirmée peut-être ?) sur la littérature contemporaine. Son talent d'écriture fait vivre des personnages qui semblent véridiques, simples, sans aucun manichéisme primaire ; mais aussi des idées, que tout le monde ne partagera pas forcément, plutôt de gauche (sur la police par exemple) dans l'ancrage traditionnel, qu'il transcrit avec force, conviction et talent.
De la seconde guerre mondiale, en passant par l'Indochine (sans doute la meilleure partie) pour finir en Algérie (celle-ci s'éternise de trop à mon goût), le lecteur constate la laideur de l'art français de la guerre.

Si tant est qu'il existe un art de la guerre admirable.
ngc111
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le 16 juil. 2012

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ngc111

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