Gustave Flaubert s'est un jour exclamé à propos de son héroïne Emma Bovary : "Madame Bovary, c'est moi !". Eh ben, moi, tout pareil, mais avec Holden Caulfield.
Au début, pourtant, on ne l'aime pas vraiment, ce petit mec-là : prétentieux, super friqué, snob, genre "je connais tout de la vie", plein de clichés, c'est le genre de héros qu'on met du temps à aimer. Et pourtant j'ai rarement autant aimé un personnage. A travers les yeux de Holden, le récit de ses trois jours de zone dans un New York des années 50 apparaît surtout terriblement actuel. On est en 1951, et pourtant, le politiquement correct est déjà là, tout comme le consumérisme à outrance, la mise à prix des sentiments, la démission des adultes, et la société bien-pensante qui ne laisse rien passer à celui qui sortirait des mailles du filet. Petit à petit, avec beaucoup de subtilité, d'un simple mot, ou à travers une scène apparemment anodine, Salinger nous montre que son héros est beaucoup plus complexe, beaucoup plus fin et attachant qu'il n'y paraît.
Quand l'aventure de Holden s'achève, quand l'adolescent semble enfin s'apaiser, nous avons, lecteurs, voyagé dans le temps, dans notre temps intime, le temps de notre adolescence, où absolument tout nous marque, nous fait ou nous défait. On referme le livre avec ces blessures ravivées, le cœur à nouveau tout écorché, seventeen once more. Et bizarrement, c'est bon.