C'est avec ce roman que Yasmina Khadra clôt son cycle de trois romans policiers ("Le dingue au bistouri","Morituri" et "Double blanc") mettant en scène le commissaire Brahim Llob. Enfin, provisoirement car Khadra remettra en service (ressuscitera !) son commissaire quelques années plus tard avec "La part du mort".
A noter d'ailleurs que le seul que je n'ai pas lu dans le cycle, c'est son premier roman "le dingue au bistouri"…
Alors que tous les romans mettent en prise le commissaire dans des enquêtes sur des meurtres perpétrés par des extrémistes, "l'automne de chimères" met en scène un commissaire Llob profondément amer, toujours droit dans ses bottes qui refuse obstinément toute compromission avec les intégristes ou avec le pouvoir algérien déboussolé. On le savait déjà dans les précédents romans, que la société algérienne est loin d'être binaire, les intégristes d'un côté, les autres de l'autre. En effet, les intégristes ont infiltré (empoisonné) la société dans toutes ses couches. Régulièrement, le commissaire Llob a affaire à des hauts fonctionnaires ou des élites qui, pour acheter une paix ou une protection (illusoires) soutiennent, informent, en bref, appartiennent peu ou prou à la mouvance intégriste.
Dans "l'automne des chimères", le commissaire Llob s'est fait une réputation de romancier pour avoir écrit "Morituri" (belle mise en abyme !) qui critique le fonctionnement de la société algérienne dans cette période troublée de montée en puissance des intégrismes (GIA, FIS, …). C'est le prétexte en or de la hiérarchie pour enfin se débarrasser de cet encombrant commissaire, tout doué soit-il.
Ainsi le roman est une marche désespérée d'un commissaire qui voit que la guerre civile a atteint sa ville natale et que ses amis sont assassinés l'un après l'autre.
Mon bled n’est plus qu’une immense douleur… Je suis né ici, il y a très longtemps. On appelait cette époque le temps des colonies.
Le commissaire Llob est un flic intègre qui croit à la justice, qui a une foi inébranlable dans son pays qui s'est construit dans les belles années qui ont accompagné la décolonisation. Or là, il ne trouve plus que corruption ou démagogie ou exactions en tous genres.
Vous êtes en retard, commissaire ! A l’image de la nation … répond Llob.
Ne serait-ce qu'à cause de l'attribution du roman "Morituri" au commissaire Llob, il faut voir dans ce roman une part non négligeable d'autobiographie de la part de Yasmina Khadra qui jette en quelque sorte l'éponge.
Le style de Yasmina Khadra est toujours formidablement puissant avec ses réflexions à l'emporte-pièce, à l'humour grinçant et qui font toujours mouche.
Il est possible que celui qui attend une nouvelle enquête policière risque de sortir déçu de ce livre mais en même temps, on ne peut qu'être touché par cette émotion qui étreint le commissaire, impuissant, devant ses amis d'enfance qui disparaissent.