L'Autre fille
7.1
L'Autre fille

livre de Annie Ernaux (2011)

C'est en tout cas ce que je me suis demandé après avoir refermé L'Autre fille de la nouvellement nobelisée Annie Ernaux, ou plutôt l'avoir reposé sèchement sur la table en veillant bien à ce qu'il fasse du bruit en claquant, le tout pour exprimer ma frustration. Car après lecture, je n'ai ressenti que du soulagement en sachant que ça y est, c'est fini, il va retourner sur l'étagère et y rester pour toujours.


L'Autre fille est une lettre de l'auteure adressée à sa grande sœur. Celle-ci étant décédée près de trois ans avant la naissance d'Ernaux (c'est plus court pour la suite), elle ne l'a jamais connue, et apprendra son existence par le biais d'une conversation anodine.

Ainsi donc, et livre français l'oblige, la lecture de ce texte (plutôt court, il faut le reconnaître) évoque en nous toute sorte d'émotion, dont la compassion et la tristesse priment. On éprouve de la peine et de l'empathie pour Ernaux, qui apprend qu'elle a une aînée déjà morte à sa naissance d'un coup d'un seul.

Enfin, c'est en tout cas ce qu'on est censés ressentir, car ça n'a absolument pas été mon cas. N'ayant jamais connu personnellement la grande sœur pas plus qu'Ernaux elle-même, l'annonce de la mort de l'une trois ans avant la naissance de l'autre ne m'a fait ni chaud, ni froid.


Qu'on soit bien d'accords : absolument personne n'a connu personnellement le personnage d'un livre ou d'un film, et si l'on suit la logique, la mort dudit personnage n'est pas censée nous affecter, n'est-ce pas ? Mais alors pourquoi est-ce qu'on a tous pleuré lors de la mort de Mufasa dans le Roi Lion ? Pourquoi est-ce que le sacrifice de Gandalf dans les mines de la Moria, même en sachant qu'il revient plus tard, nous laisse un arrière goût amer de peine ?

Tout simplement parce qu'avant leur mort, on a pu avoir un aperçu de ces personnages de leur vivant. On a pu découvrir qui ils étaient, quels étaient leur caractères, leurs valeurs, bref tout ce qui fait d'eux des êtres qui existent. Et même s'ils n'existent pas réellement, on éprouve quand même quelque chose face à leur disparition. Ça s'appelle la suspension d'incrédulité et l'empathie, et la plupart des animaux en font preuve. Par conséquent, et ce que je vais dire va sans doute choquer (m'en fous), mais le fait d'apprendre qu'Ernaux a eu une sœur morte avant qu'elle ne naisse, je m'en moque éperdument. D'où mon questionnement quant à ma nature monstrueuse.

Attention, je ne suis pas en train de dire que la mort ne m'affecte pas. Seulement que si je ne connaissais pas la personne, ça ne me fera rien (parce que si on devait éprouver quelque chose à chaque mort, avec une moyenne de plus de 2000 décès chaque jour, on serait pas rendus).


Mais pas de panique ! Ceci, nous l'apprenons dès les premières pages, il reste alors 90 pages pour qu'Ernaux nous apprenne qui était sa sœur avant sa mort prématurée ! 90 pages pour mieux la connaître et accéder à la compassion !


Haha.


Eh bien non. Livre français l'oblige, ce sont 90 pages de vide. J'entends par là que pendant 90 pages, Ernaux va évoquer des photos et des objets ayant appartenu à sa sœur pour mieux renchérir sur ses propres souvenirs, concernant ses cousines, la fois où elle a failli mourir du tétanos, bref elle va parler d'elle, de sa vie et de sa personne ("me, myself and I" comme disent les englishes). Souvenirs dont je me fiche royalement puisque, comme dit plus haut, je ne la connais pas personnellement. Et en sachant qu'elle se désigne elle-même comme "intrépide, coquette, sale, goulue, mademoiselle je-sais-tout, déplaisante, tu as le diable au corps" [sic], bizarrement, j'ai un peu de mal à changer de point de vue (et s'il y a un message anti-manichéiste derrière, ou bien je ne l'ai pas relevé, ou bien il est très mal expliqué).

Alors voilà ce que sont ces 90 pages. Une femme qui parle d'elle et nous sort des photos de sa sœur morte (oui oui, ce livre a besoin de remplir des pages avec des photos pour paraître plus épais) pour renchérir sur sa propre vie.

Mais le summum du foutage de gueule arrive vers la fin, lorsqu'Ernaux nous balance de but en blanc : "Je ne peux pas faire un récit de toi. [...] T'écrire, ce n'est rien d'autre que faire le tour de ton absence. [...] Tu es une forme vide impossible à remplir d'écriture." [sic, sic et encore sic]


Voilà. Ernaux annonce que son livre, censé être sur sa sœur, est vide parce que sa sœur est morte. Merci d'avoir acheté mon livre et d'être sorti de ta lecture aussi enrichi culturellement que si tu avais lu la liste d'ingrédients de la bolognaise Panzani (encore que ladite liste t'apprend qu'il y a du bœuf ET du porc dans la sauce). C'est ce moment qui m'a fait prendre conscience qu'entre artiste plasticien et écrivain, il y a un subtil point commun qui consiste en vendre non pas son œuvre mais son culot.

Et le livre coûte 7€50. Avec 7€50, je peux m'acheter Life is Strange en promo sur GOG et ressentir un milliard de fois plus d'émotions (et même avoir l'argent pour des cafés à la machine, puisqu'il coûte quelque chose comme 5€ en promo). Ou alors, je peux acheter et lire Le Livre de toutes les réponses sauf une qui traite du thème, mais en mieux.


Alors maintenant, j'ai une question, même si je pense connaître la réponse : pourquoi écrire 90 pages sur une personne en sachant très bien que tu n'auras rien à dire dessus ? Pourquoi nous prendre pour des imbéciles à ce point ? Et si vraiment ça te tient à cœur d'écrire sur ta sœur que tu n'as jamais connue, pourquoi ne pas essayer d'ajouter un peu de matière romancée, qui n'est pas tout à fait la vérité mais s'en rapproche ? (ça s'appelle l'autofiction.) Pourquoi est-ce que la littérature française déteste tant que ça l'imagination et doit forcément parler de choses s'étant réellement produites pour exister ?


Parce que pour en revenir au Livre de toutes les réponses sauf une, même si c'est de la fiction, j'ai ressenti quelque chose pour les personnages, tout simplement parce qu'ils m'ont été présentés en amont. Et c'est de la littérature jeunesse. Et c'est raconté beaucoup plus simplement que le discours inutilement alambiqué d'Ernaux, si propre à la Littérature française avec un L majuscule.


Et histoire d'enfoncer le clou (rappelez-vous que je suis un monstre, c'est dans ma nature), faisons une petite comparaison avec Chevreuse, lu trois mois plus tôt. Parce que lors de l'écriture de ce livre, Patrick Modiano était déjà nobelisé, donc quelque part ce qui a été écrit après le prix ne rentre pas en compte dans son obtention. Un acteur oscarisé ne va pas perdre sa statuette s'il joue dans un nanar des années après.

Mais pour Ernaux, en sachant que L'Autre fille a été écrit en 2011, il est entré en compte dans son prix Nobel. Et là je m'avance puisque je ne les ai pas lus, mais si le reste de ses livres est du même acabit, eh bien...


Eh bien...


Eh bien on peut dire que la Littérature française ne s'est jamais aussi bien portée.

Pour la culture, c'est une autre histoire.

Random_23
1
Écrit par

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le 20 mars 2024

Critique lue 12 fois

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