"Tu les connais, ces romans écrits par des khâgneux : ça se veut intelligent, ça se regarde le nombril, c'est chiant."
Catherine Cusset fait involontairement preuve d'une grande lucidité quand elle écrit cette phrase. Surement l'a-t-elle écrit avec un air entendu, l'air de dire : oui je suis une prof de lettres et j'écris un roman, mais je ne suis pas comme les autres ça ne va pas être chiant, ne t'inquiète pas...
"I'm not like other girls" kind of bullshit.
Le problème de l'autofiction, c'est que quand sa propre vie n'est pas "passionnante passionnante", on en a fait rapidement le tour. Catherine Cusset ayant épuisé les aventures de sa vie de prof à Yale, elle exhume un de ses amis pour raconter son suicide et sa vie, dans cet ordre. Un de ses amis qui a fait une khâgne, puis des études de lettres, pour devenir prof de lettres.
Au programme : 1) des listes d'auteurs histoire de montrer que le héros est grave cultivé : "Tu lisais du Proust, du Wittgenstein, du Kant, du [insérer ici tout le programme d'une licence de lettres]. 2. Des listes de qualités des filles qu'il réussit à séduire : la taille des fesses, les qualités au lit, la gentillesse (docilité?) envers le héros. 3. Des rappels que le monde de l'enseignement est mesquin mais attention ! le héros et la narratrice sont bien au dessus de ça, car le héros a lu eeeet retour au numéro 1.
Pendant ce temps, Télérama titre "Une oraison bouleversante qui restitue sa dignité à l'ami disparu." Et c'est là où j'éprouve un malaise certain. Car le jeune homme s'est suicidé, c'est dit au premier chapitre. Et j'ai l'impression que cet acte tragique, bien réel, justifie l'intérêt que le lecteur a l'obligation d'avoir pour ce roman et pour le héros. D'ailleurs je me sens bien cruelle de critiquer ce héros que je trouve antipathique et la narratrice qui fait "une oraison bouleversante". Mais si vous enlevez l'issue tragique, le roman n'a vraiment aucun intérêt.
Je ressors de ma lecture avec la vague impression que l'auteure a utilisé la tragédie d'un ami pour écrire sa nostalgie pour sa propre vie et ce milieu cultivé qu'elle aime tellement critiquer.