Un ovni de contingence existentielle
Les expressions Rien de nouveau sous le soleil, Il y a un temps pour tout et Vanités des vanités, tout est vanité, tout le monde ou presque les connait : extraites de L’Ecclésiaste, un OVNI sous forme de petit précis philosophique perdu dans la Bible.
Amis dépressifs, abstenez-vous. Bukowski, Houellebecq ou Maupassant passeraient pour des gais lurons à côté de l’auteur de ce texte : nous avons ni passé, ni avenir, ni salut, le monde n’a aucun sens (n'est que notre représentation dirait Schopenhauer), notre vie non plus, l’heure de notre mort est préférable à l’heure notre naissance..
« Beaucoup de sagesse, beaucoup de chagrin. Plus de savoir, plus de douleur »
Le texte est d’une surprenante modernité lorsque, par exemple, il dénonce notre course effrénée - et vaine - à la nouveauté puis lorsqu’il en démontre le caractère illusoire : intégralement transposable aujourd’hui en une analyse de notre société d’hyper-consommation, d’insatisfaction permanente, d’agitation et d’inquiétude.
« Je déteste le travail pour lequel j’ai pris de la peine sous le soleil et que je laisse à mon successeur. Je déteste la vie, car tout ce qui se fait sous le soleil me déplaît : tout est vanité et poursuite de vent »
L’Ecclésiaste propose une vision cyclique de toute chose (« Rien de nouveau sous le soleil », comprenez rien de nouveau dans la nature), à la manière des stoïciens, ce qui peut paraître assez étrange dans un contexte biblique où le temps est plutôt perçu comme fléché et linéaire. Cette vision cyclique du cosmos est au coeur de l’illusion de ce qui nous paraît « nouveau ». Ce qui a été est ce qui sera ; ce qui est arrivé arrivera encore.
« Il n’y a pas de souvenir durable du sage ni de l’insensé, et dès les jours suivants, tous deux sont oubliés : le sage meurt bel et bien avec l’insensé »
En filigrane la pensée épicurienne est perceptible également (bien qu'il semble que l'auteur n'ait jamais reçu d’éducation hellénique).
Un petit bijou, que vous trouverez dans la Bible, si vous en avez une ; sinon disponible en format Poche dans une version commentée de Renan.
Texte obsédant, une envie furieuse d'y revenir sans cesse.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes (re)Lus 2017 et φ Petits meurtres entre ennemis
Créée
le 26 sept. 2017
Critique lue 757 fois
21 j'aime
4 commentaires
D'autres avis sur L'Ecclésiaste : Un temps pour tout
Paroles de l'Ecclésiaste, fils de David, roi de Jérusalem. Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. Quel avantage revient-il à l'homme de toute la peine qu'il se...
le 30 sept. 2016
16 j'aime
Qôhéléth est un privilégié de la vie. C'est un sage qui a passé sa vie à étudier. C'est un propriétaire terrien aisé. En dépit de ceci, il a écrit le livre le plus nihiliste de l'Ancien Testament:...
Par
le 27 avr. 2011
10 j'aime
Du même critique
Je ne jugerai pas des techniques cinématographiques, du jeu des acteurs, ou que sais-je encore sur le 7ème art, n’y connaissant rien je ne m’y sens pas autorisé. A contrario, même un crétin en cinéma...
Par
le 4 oct. 2019
58 j'aime
3
Albert Camus vous m’ennuyez car je ne sais pas trop quoi faire de vous. Vraiment. Je vais vous raconter une histoire, de moutons : J’étais plus jeune alors, en fin d’adolescence, ou au début de l’âge...
Par
le 12 mai 2019
43 j'aime
12
Le médecin nous place d’emblée dans son univers horizontal, pandémoniaque, au seuil d’un dixième cercle dantesque, à moins que ce ne soit aux portes des Limbes. Jeunesse : dans une cage à lapin à...
Par
le 23 mai 2018
43 j'aime
14
